GENRES DRAMATIQUES
Le temps du drame
De façon plus générale, le xviiie siècle lutte contre les théories et les systèmes figés. Trop à l'étroit dans les genres déjà existants, les dramaturges inventent une forme nouvelle qu'ils nomment le drame bourgeois, l'apparition du terme « drame » dans le Dictionnaire de l'Académie datant seulement de 1762. Il se fonde sur une opposition conjointe à la tragédie et à la comédie. Dans ses Entretiens avec Dorval, annexe à sa pièce Le Fils naturel(1757), Denis Diderot affirme en effet la nécessité d'un retour à l'imitation du réel. Contre les théories idéalistes du siècle précédent, qui se réclamaient de la « belle nature », il enjoint au dramaturge de peindre la nature vraie. Cette exigence répond à celle du public, en majorité bourgeois, qui réclame de se voir sur la scène. Aussi ne s'agira-t-il plus de décrire des vices caricaturaux et atemporels, comme ce pouvait être le cas des comédies de Molière telles que L'Avare (1668) ou Le Misanthrope(1666), mais d'actualiser la peinture en fonction des mœurs réelles du public. Pour accentuer l'effet de vérité, la prose remplace le vers, la pantomime la stylisation du jeu, la mise en scène cherche à reproduire le réel. Au contraire de la comédie et de la tragédie, les personnages du drame ne sont donc ni moins bons ni meilleurs que l'humanité moyenne. On s'attache à imiter « les humbles péripéties de l'existence », le dramaturge puisant souvent son inspiration dans la cellule familiale bourgeoise. En témoignent certains titres comme Le Fils naturel et Le Père de famille (1758) de Diderot ou La Mère coupable (1792) de Beaumarchais. Les effets recherchés sur le public s'opposent également aux genres tragique et comique. Car la pédagogie de la vertu, que semblent rechercher les dramaturges, se fonde sur l'attendrissement. On ne cherche plus à provoquer la terreur ou le rire, mais les larmes. C'est pourquoi le genre s'appelle aussi « comédie larmoyante » ou « genre sérieux ».
La création du drame bourgeois, en réaction à la toute-puissante bipartition entre tragédie et comédie, est amenée à une postérité exceptionnelle. Si le genre disparaît dès l'époque romantique, après avoir engendré des pièces aujourd'hui peu jouées, le drame en revanche subsiste, jusqu'à devenir le genre théâtral majeur. Le drame romantique conserve du drame bourgeois son souci d'imiter le réel et sa volonté de constituer une forme intermédiaire qui ne doive ni à la comédie ni à la tragédie. C'est d'abord l'histoire, notamment le passé national, qui fait son apparition sur les planches. Et cette histoire est celle non plus de quelques grands, mais d'une société dans son ensemble. Ainsi le peuple de Florence est-il présent dans Lorenzaccio (1834) d'Alfred de Musset, lorsque la foule sort de l'église de San Miniato (I, 5). Si les thèmes changent, le drame romantique rejoint le drame bourgeois dans son refus des règles. S'inspirant des libertés du théâtre shakespearien, les romantiques récusent les unités, particulièrement imposées à la tragédie du xviie siècle. Ils cherchent à susciter à la fois le rire et les larmes, à peindre le sublime et le grotesque.
Le drame comme genre se poursuit et se transforme à nouveau à la fin du xixe siècle, dans l'œuvre des symbolistes. Récusant toute imitation réaliste, le dramaturge belge Maurice Maeterlinck prétend notamment peindre les correspondances entre charnel et spirituel. Pelléas et Mélisande (1892) se veut d'abord un univers poétique, où la puissance de suggestion de l'imaginaire prime le spectacle. Mais le dramaturge, aspirant à écrire une « tragédie du destin », se réclame pourtant de genres établis. Historiquement, création et disparition des genres sont, par là, en évolution[...]
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Écrit par
- Elsa MARPEAU : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de lettres modernes, docteure en lettres modernes et en arts du spectacle
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