GENRES LITTÉRAIRES
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La notion de genre littéraire a joué de tout temps un rôle important dans la description et l'explication des faits littéraires. C'est que la littérature n'est jamais simplement la somme des œuvres individuelles, mais se constitue tout autant à travers les relations que ces œuvres tissent entre elles. Du côté de l'auteur, et à travers le jeu infini des prescriptions et des interdits, des imitations et des transformations, des reproductions et des subversions, elle s'institue comme une entité collective à parentés multiples qui s'entrecroisent de manière imprévisible, galaxie de formes, de thèmes et de types discursifs en réorganisation perpétuelle. Du côté du récepteur – auditeur ou lecteur –, la reconstruction de l'œuvre implique toujours d'abord la reconnaissance des conventions discursives générales dont elle relève, ensuite son individualisation sur le fond plus ou moins étendu, plus ou moins contraignant, plus ou moins structuré de l'expérience littéraire déjà acquise : horizon d'attente générique (H. R. Jauss) qui accueille l'œuvre nouvelle, mais qu'elle a aussi le pouvoir de déplacer et de réorganiser.
On a parfois soutenu que la problématique des genres n'était pertinente que pour certains domaines littéraires : la littérature classique, à cause de sa soumission à un système de règles explicites, la littérature populaire, à cause de son caractère collectif, anonyme et souvent formulaire, la littérature de masse enfin, parce qu'elle aboutit à des produits standardisés. En réalité, aucun texte littéraire ne saurait se situer en dehors de toute norme générique : un message n'existe que dans le cadre des conventions pragmatiques fondamentales qui régissent les échanges discursifs et qui s'imposent à lui tout autant que les conventions du code linguistique. L'œuvre la plus incommensurable ne saurait établir sa singularité qu'en se rapportant à l'horizon générique dont elle s'écarte, qu'elle rejette, qu'elle subvertit : l'altérité n'est jamais que relative. Si Un coup de dés de Mallarmé est une œuvre singulière, c'est qu'elle se situe dans la tradition de la poésie lyrique française qu'elle prétend mener à ses limites extrêmes. La même chose vaut pour les relations que Finnegan's Wake de Joyce entretient avec la tradition du récit occidental.
Conventions et prescriptions
Qui tente de décrire la notion de genre littéraire se heurte à un certain nombre de difficultés.
Écartons d'abord les problèmes de terminologie : certains auteurs distinguent entre les genres, compris comme des classes de textes historiquement spécifiques, et d'autres catégories plus abstraites, dont le statut serait transhistorique, tels les modalités d'énonciation (narration et représentation), les types ou modes (l'épique, le lyrique, le tragique, etc.), ou encore les formes simples (la légende, le mythe, la fable, etc.). En réalité, toutes ces classifications relèvent de la problématique des genres, que ce soit sous la forme de l'intertextualité, c'est-à-dire des relations entre œuvres, ou sous la forme de l'architextualité (Gérard Genette), c'est-à-dire des relations liant les œuvres à des normes transcendantes. On ne saurait postuler une frontière absolue entre ces diverses catégories, ne serait-ce que parce que la plupart des noms de genres se réfèrent selon les contextes à des niveaux d'abstraction différents. Ainsi un terme comme récit se réfère généralement à une modalité d'énonciation (la narration), c'est-à-dire qu'il subsume indifféremment les romans, les nouvelles, les contes, etc. ; en revanche, lorsque Gide, classant ses œuvres narratives, oppose le récit au roman, le terme prend une signification toute différente, puisqu'il se réfère alors à une sous-classe du genre narratif. Un obstacle plus fondamental se trouve dans un certain nombre d'idées reçues accumulées au fil des siècles. Beaucoup d'auteurs, notamment au xixe siècle, ont pensé que la question de savoir ce qu'est un genre littéraire revenait en fait à se demander ce qu'est la littérature (ou la poésie). C'est le cas de Hegel, auteur du système générique le plus imposant réalisé à ce jour : d'après lui, les trois genres (Gattungen) fondamentaux, c'est-à-dire l'épopée, la poésie lyrique et la poésie dramatique, circonscrivent le développement de la littérature dans sa totalité. Il accorde donc un privilège exorbitant à trois genres qui, s'ils jouent un rôle éminent dans la littérature classique (et davantage encore dans la théorie classiciste de la littérature), ne sauraient certainement pas prétendre être coextensifs à la totalité de la littérature occidentale, et à plus forte raison mondiale. Il ne s'agit d'ailleurs pas de formes universellement répandues : on sait que la littérature chinoise par exemple ignore le genre de l'épopée. Par ailleurs, l'idée d'une frontière absolue et stable entre les activités littéraires et les activités verbales non littéraires ne résiste pas à l'épreuve des faits : puisque la littérature est un agrégat historique en mouvement perpétuel, une étude des genres ne saurait établir de frontière étanche entre les genres littéraires au sens étroit du terme et les genres du discours (Tzvetan Todorov), c'est-à-dire l'ensemble des conventions qui régissent les différents types d'échanges verbaux « naturels ». Il en va ainsi, par exemple, pour les genres de l'épithalame, de l'éloge funèbre, du sermon, de la lettre ou du journal intime.
Souvent on traite la notion de genre comme une catégorie causale qui expliquerait l'existence des textes. La tentation est déjà présente chez Aristote, le père de la théorie des genres occidentale : dans certains passages de la Poétique, il définit la tragédie comme une substance quasi biologique dotée d'une nature interne capable de déterminer les œuvres individuelles et l'évolution de la classe générique. On retrouve cette conception, poussée à l'extrême, dans les théories évolutionnistes du xixe siècle, par exemple chez Brunetière, qui réduit l'histoire littéraire à la lutte vitale que se livreraient les divers genres conçus comme autant d'espèces naturelles dotées d'une sorte de volonté de puissance. En fait, s'il est vrai que la possession de certains traits est une raison pour assigner une œuvre donnée à une catégorie spécifique, une catégorie n'est en revanche pas le genre de chose qui, par elle-même, pourrait être la raison ou la cause de quoi que ce soit (John Reichert). Un autre préjugé veut que les catégories génériques se réfèrent toutes à des phénomènes du même type. Rien n'est moins vrai : le terme sonnet se réfère à des prescriptions formelles (un poème de quatorze vers organisé en deux quatrains et deux tercets dans le sonnet à l'italienne, ou en trois quatrains et un distique dans le sonnet à l'anglaise), le terme autobiographie à des propriétés énonciatives et des traits thématiques (un homme raconte sa propre vie), le terme récit à une modalité d'énonciation. Cette pluralité n'est que le reflet de la complexité qui est inhérente à la littérature et, plus fondamentalement, à tout acte verbal. Une activité discursive peut être appréhendée sur divers niveaux, ce qui veut dire que son identité est toujours relative : La Princesse de Clèvespeut être vue sous l'angle du récit, sous celui du roman psychologique ou sous celui du roman du xviie siècle. Chacune de ces déterminations génériques sollicitera d'autres traits du texte et en dessinera une image spécifique.
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Écrit par
- Jean-Marie SCHAEFFER : chargé de recherche au C.N.R.S.
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