GENRES LITTÉRAIRES, notion de
Avant d'être une notion problématique, inscrite dans une histoire et lourde d'enjeux esthétiques, les genres littéraires sont, pour la plupart d'entre nous, une réalité éditoriale, indissociable de notre expérience concrète : ils circonscrivent des territoires (le rayon « poésie » d'une librairie ou d'une bibliothèque), définissent des spécialités (l'UFR de théâtre à l'Université), génèrent des institutions (le prix du premier roman). Bien plus, c'est souvent à travers eux que nous appréhendons d'abord la littérature : « je cherche un bon roman policier pour le train », « il y a longtemps que je ne suis pas allé au théâtre », « la poésie lyrique m'ennuie », sont autant de formules qui rappellent que ni le texte ni même l'auteur ne sont nécessairement les objets premiers de nos choix ou de nos goûts. Cette typologie intuitive n'est certes pas des plus rigoureuses, dans la mesure où s'y mêlent des critères de natures différentes : le théâtre est une représentation, la comédie est drôle, la science-fiction traite d'un thème particulier, la nouvelle est brève, etc. Tous ces « genres », on le voit, ne se situent pas au même niveau (le roman policier est une « espèce » du roman qui ressortit lui-même, plus largement, à la fiction narrative), et se définissent par des traits sans rapport évident entre eux : sujet, mode d'énonciation, structure, registre, ton, etc. Il n'empêche que notre pratique de la lecture repose en grande partie sur ces catégories hésitantes, que nous identifions plus ou moins immédiatement, grâce aux indices paratextuels (la mention « roman » sur la couverture), à la disposition du texte sur la page (les vers dans la poésie, les répliques au théâtre), à la structure générale (le roman épistolaire, le journal intime), etc., et qui déterminent ce qu'il est convenu d'appeler, depuis Hans Robert Jauss, un « horizon d'attente » (Pour une esthétique de la réception, 1966). Que celui-ci soit parfois trompé, voire déçu par l'auteur ne change rien à l'affaire : si fréquents soient-ils, ces écarts ne remettent pas fondamentalement en cause une distribution qui fait tellement partie de notre héritage culturel qu'elle a fini par devenir, dans notre esprit, quasi naturelle. Au reste, le lecteur n'est pas seul concerné : l'écrivain lui-même se coule, plus ou moins fidèlement, dans ce moule, et, là encore, la transgression volontaire apparaît bien souvent comme un hommage du vice à la vertu.
La classification des genres
Tout commence avec Platon, qui, dans La République (385-370 av. J.-C.) distingue trois genres en fonction de leur mode d'énonciation : narratif pur (le dithyrambe), mimétique pur (la tragédie et la comédie) et mixte (l'épopée, homérique par exemple, qui fait alterner récit et dialogues). Mais c'est à Aristote que nous devons, avec La Poétique (env. 340 av. J.-C.), la première véritable classification des genres, qui servira de référence au long des siècles suivants, et dont nous restons largement tributaires. Aristote reprend de Platon le critère de la situation d'énonciation, qu'il double d'un critère à la fois social et moral. D'où les quatre fameuses catégories : imitation (ou représentation, selon la traduction du mot mimèsis) d'actions de personnages supérieurs en mode dramatique (la tragédie), imitation d'actions de personnages supérieurs en mode narratif (l'épopée), imitation d'actions de personnages inférieurs en mode dramatique (la comédie), imitation d'actions de personnages inférieurs en mode narratif (la parodie). Aristote se démarque de Platon par la suppression du narratif pur (le narratif étant chez lui assimilé au régime mixte de l'épopée), et, comme on le sait, par sa réhabilitation de l'imitation. [...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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