GENRES PICTURAUX
Renaissance des genres
Le lent processus de cette « renaissance des genres » peut se subdiviser en trois temps. D'abord, dès le xiiie siècle, le goût de certains collectionneurs pour l'Antique (notamment l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen) et l'intérêt, lié à la doctrine matérialiste aristotélicienne, pour le corporel conduisent entre autres, à travers les expériences de certains sculpteurs, à la révolution opérée par Giotto, dont les inventions artistiques, appréciées et imitées, reconquièrent l'espace pictural et reproduisent le particulier, en contribuant à la réhabilitation du portrait comme genre autonome dès le milieu du xive siècle. Ensuite, l'attrait, suscité par la lecture des auteurs antiques, des humanistes italiens pour l'illusionnisme crée une attente que viennent combler dès les années 1420 Jan van Eyck et les peintres flamands, donnant une importance croissante aux éléments accessoires de l'image. Enfin, à partir de 1500 environ, un nouveau goût, que l'on pourrait qualifier de « habsbourgeois », pétri par l'humanisme italien et dominé par les grands rhétoriqueurs, se manifeste un peu partout en Europe et, principalement, dans les cours de Bruxelles, Malines et Vienne.
Focalisé sur l'inventio et son corollaire, la varietas, le goût habsbourgeois génère, tant dans les anciens Pays-Bas (Jérôme Bosch) que dans le sud des terres germaniques (Albrecht Altdorfer), et jusqu'à Venise (Giorgione), de nouveaux types de peinture. Ceux-ci correspondent aux différentes catégories décrites par Pline l'Ancien (peintures de monstruosités, scènes pastorales, etc.) et suscitent d'emblée une demande élargie sur le marché de l'art anversois, entraînant deux phénomènes complémentaires et indissociables de la notion de genre : d'un côté, la multiplication d'une idée singulière à travers le pastiche ; de l'autre, la spécialisation du peintre dans une catégorie appréciée comme telle.
C'est pourquoi le marché de l'art anversois, principal diffuseur du goût habsbourgeois, constitue tout au long du xvie siècle le véritable berceau des genres artistiques. Ceux-ci, considérés dans les limites qu'on leur assigne aujourd'hui, semblent graduellement s'affranchir des caractéristiques de l'image de dévotion pour acquérir leur autonomie. Ainsi, les inventions de Joachim Patinir, qualifié de « bon paysagiste » dans son Journal par Albrecht Dürer, en 1521, inaugurent une tradition qui, focalisée sur l'affirmation identitaire du « pays flamand », conduit à la scène de genre paysanne, à travers la neutralisation du contenu religieux (Pieter Bruegel l'Ancien), puis au « paysage pur » à travers une évacuation relative de la figure, opérée de façon absolue dans le cas de la nature morte (Jan Bruegel de Velours). Toutefois, les genres artistiques, dont les frontières sont perméables, sont perçus par les observateurs du xvie siècle de manière moins stricte. Dès le départ, ils semblent en effet proliférer de façon incontrôlable, comme peuvent notamment l'illustrer les idées de Bosch, qui, en transposant l'univers confidentiel des drôleries marginales dans la peinture sur bois, forge plusieurs modes, attachées à un style défini et suivies par nombre d'imitateurs spécialisés : notamment celles des « diableries », des « paysages incendiés » et des « proverbes ». Les genres coexistent ainsi sans ordre apparent dans les cabinets d'amateur, dont les inventaires reflètent le caractère additif. Leur classification apparaît donc peu à peu comme une nécessité, au moment où se développe la littérature artistique.
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Écrit par
- Frédéric ELSIG : docteur ès lettres, maître assistant en histoire de l'art médiéval à l'université de Genève (Suisse)
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