GENRES PICTURAUX
La hiérarchie des genres et sa subversion
La littérature artistique commence par prendre conscience de la prolifération des genres qu'elle décrit à travers les auteurs antiques, comme en témoigne, autour de 1530, l'érudit italien Paolo Giovio, qui, pour désigner les éléments divers d'un paysage dans un tableau du peintre ferrarais Dosso Dossi, utilise le terme « genre » (« tout ce qui appartient à ce genre si agréable à regarder »). Ces textes mettent en évidence la fonction fondamentale de catégories qui, adressées aux sens plutôt qu'à la raison, contribuent à la distraction de l'esprit. Puis, sous l'effet de la normalisation académique, à partir des années 1560, la littérature artistique passe progressivement du décrire au prescrire, en déterminant la spécialité des peintres – comme l'illustre, en 1584, le Trattato dell'arte dellapittura du peintre italien Giovanni Paolo Lomazzo, qui, sur la base des remarques de Vitruve au sujet des styles attachés aux scènes théâtrales, fixe les principales orientations du paysage. Ainsi, les innombrables types de peinture se trouvent rangés en quelques genres, classés de manière conventionnelle par sujets, selon un ordre hiérarchique qui place la peinture d'histoire au sommet et lui subordonne le portrait, la scène de genre, le paysage et la nature morte. Héritée de l'Antiquité, cette hiérarchie, dans laquelle s'intercalent des sous-catégories, trouve sa formulation théorique la plus aboutie en France au sein de l'Académie royale. Généralement admise dans les cours européennes (France, Italie, Espagne), elle ne touche guère les villes des Pays-Bas septentrionaux, dont l'idéologie calviniste et l'économie spéculative en plein essor contribuent à un développement extraordinaire des genres jugés secondaires, spécialité revendiquée par les peintres hollandais.
Diffusé durant la seconde moitié du xviiie siècle, le goût pour le Siècle d'or hollandais touche en France nombre de collectionneurs et d'amateurs. Il contribue notamment à l'essor de la scène de genre. Celle-ci, baptisée telle en 1791 par le critique d'art français Quatremère de Quincy dans ses Considérations sur les arts du dessin en France, vient peu à peu concurrencer la grande peinture d'histoire et son culte de l'individualité héroïque, auxquels elle oppose une représentation stéréotypée du quotidien. Elle finit par la détrôner dans les années 1860, à l'époque du mouvement réaliste qui joue fréquemment sur l'ambivalence entre l'individu et le type. De ce fait, la subversion de la hiérarchie des genres devient l'une des stratégies majeures du mouvement moderne pour s'affranchir de la peinture académique. Elle se poursuit rapidement à travers la remise en question des deux principes fondamentaux du genre : l'autonomie du tableau et l'imitation de la nature.
Cette subversion passe aussi par la transgression du support traditionnel, comme l'illustre l'adoption de la scène de genre, puis de la nature morte, par certains sculpteurs. Elle aboutit au xxe siècle avec les expériences de Marcel Duchamp, qui abolit la distance entre l'objet et sa représentation mimétique, en transposant en quelque sorte les genres dans la réalité même, comme l'illustreront les « natures mortes » des Nouveaux Réalistes, ou les « paysages » refaçonnés par le Land Art.
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Écrit par
- Frédéric ELSIG : docteur ès lettres, maître assistant en histoire de l'art médiéval à l'université de Genève (Suisse)
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