GÉOGRAPHIE
Géographie culturelle
Longtemps « géographie des faits culturels », la géographie culturelle est devenue aujourd'hui « exploration géographique de la différence et du changement culturel » (Don Mitchell). Parler de géographie « culturelle » a longtemps surpris tant la géographie – discipline concrète et analysant les faits matériels – paraissait distante de la culture, du domaine de l'esprit. En France, le débat scientifique qui a agité la géographie jusqu'au début des années 1980 entre tenants de l'analyse spatiale et héritiers de Vidal de la Blache a assuré le succès de francs-tireurs inspirés par la phénoménologie ou la sociologie structuraliste et permis l'essor d'une géographie culturelle qui prend place au sein des sciences sociales.
Des origines ambiguës
La géographie culturelle trouve ses fondements dans l'école de pensée allemande qui s'inscrit dans la lignée de Kant. Elle mêle paradoxalement esprit humaniste et philosophie naturaliste. L'école du Landschaft (1880-1920) a développé la notion de Kultur, qui nourrit le rêve historique de la nation unitaire, pour la combiner à l'idée de nature, de paysage, de milieu. Sur ces bases, Friedrich Ratzel (1844-1904) fondera une géopolitique, conçue comme une écologie humaine, affirmant le rôle de l'État national, la place de la nature pour expliquer les sociétés (déterminisme), mais surtout celle de la culture pour justifier des conquêtes et affirmer le pouvoir d'État (cadre idéologique). Développée pour justifier les nationalismes et la colonisation, cette géographie humaine à fondement culturaliste, conservatrice et fondamentalement raciste sera rejetée par beaucoup pour avoir alimenté les idéologies d'extrême droite. Mais cette conception se perpétue chez Samuel Huntington parlant du « choc des civilisations ».
À la suite de Paul Vidal de La Blache (1845-1918) fondateur de la géographie régionale, l'École française de géographie s'interroge sur les différences et la diversité des territoires, sur l'histoire et les permanences, sur les genres de vie qui traduisent les adaptations de l'homme au milieu. Premiers pas vers une géographie sensible aux lieux, aux milieux, et aux pratiques sociales. Cette géographie centrée sur les héritages historiques (Braudel servira plus tard de référence) et les déterminants culturels des structures régionales va fortement influencer l'école de Berkeley (milieu des années 1920), notamment Carl O. Sauer (1889-1975), fondateur de la géographie culturelle américaine. Cette dernière, plus tournée vers l'analyse des paysages et des milieux comme expression de la culture, ouvre la voie à l'écologie culturelle qui interroge les écosystèmes selon une conception évolutionniste.
Jean Bruhnes, André Siegfried, Pierre Deffontaines, Albert Demangeon, Jules Sion, Maximilien Sorre prolongent l'œuvre de Vidal et vont donner ses lettres de noblesse à la géographie humaine française tout au long de la première moitié du xxe siècle. D'autres, comme Pierre Gourou et les tropicalistes, vont défricher la géographie des aires culturelles et des civilisations à partir de l'analyse des organisations et traditions sociales, des systèmes économiques et politiques dominants. Par ailleurs, les travaux du sociologue allemand Georg Simmel, au début du xxe siècle, et des sociologues de l'école de Chicago (1920-1930), attentifs aux problèmes des métropoles urbaines naissantes, auront une influence, mais, en France, avec un grand décalage dans le temps.
Le renouveau : des géographies culturelles
En réaction aux certitudes des approches néo-positivistes et de la géographie quantitative, la géographie culturelle connaît en France, vers le milieu des années 1970, un renouveau qui passe d'abord par celui de la géopolitique, avec le pamphlet[...]
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Écrit par
- Dominique CROZAT : maître de conférences à l'université de Montpellier-III
- Jean DRESCH : directeur de l'Institut de géographie de l'université de Paris
- Pierre GEORGE : membre de l'Institut
- Philippe PINCHEMEL : professeur à l'université de Paris-I
- Céline ROZENBLAT : maître de conférences H.D.R. en géographie à l'université de Montpellier-III
- Jean-Paul VOLLE : professeur agrégé des Universités, professeur à l'université de Montpellier-III-Paul-Valéry
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