GÉOMÉTRIE
Les géométries non euclidiennes
Jusqu'au début du xviiie siècle, le problème posé par le postulat des parallèles fut envisagé dans la même perspective : le postulat n'est pas une évidence première, mais une vérité qu'on doit pouvoir démontrer. La plupart des démonstrations se fondent sur la définition de la parallèle comme droite équidistante à une droite donnée, définition que l'on ne trouve pas dans les Éléments d'Euclide, il faut le noter. On ne soupçonne pas le cercle vicieux qu'implique une telle façon de faire, la possibilité qu'une droite puisse être équidistante à une autre droite supposant le postulat. Telles se présentent les démonstrations de Posidonius (iie siècle av. J.-C.), de Geminus (ie siècle apr. J.-C.), de Proclus (ve siècle apr. J.-C.) ; et encore celle du jésuite Clavius (1537-1612) à la fin du xvie siècle, celui-ci doutant cependant de la validité de sa démarche. Le jésuite G. Saccheri, dans son Euclides ab omni naevo vindicatus (1733), est le premier mathématicien à mettre nettement en doute la validité des démonstrations fondées sur l'équidistance et à proposer une autre approche, la réduction à l'absurde : supposer que le postulat des parallèles ne vaut pas et démontrer que cette hypothèse aboutit à une contradiction. À cet effet, Saccheri fait appel au trapèze isocèle qu'avait introduit le géomètre arabe Nāṣir al-Dīn (xiiie siècle). Ce trapèze est construit en menant perpendiculairement aux extrémités d'une droite AB deux segments égaux AC et AD. Les angles intérieurs en C et D sont égaux. Ils valent un droit dans le cas où le postulat est vrai ; dans le cas contraire, ils sont soit aigus, soit obtus. Ainsi, bien avant que ne soit prouvée la validité des géométries non euclidiennes, était mis en évidence le dédoublement de l'hypothèse de la négation du postulat : angle aigu (géométrie de Lobatchevski), angle obtus (géométrie de Riemann). Nāṣir al-Dīn avait très vite cru pouvoir conclure que ces angles intérieurs en C et D étaient droits, pensant donc avoir démontré le postulat. Saccheri arrive à la même conclusion, mais au terme de longs développements, au cours desquels, contre son gré pourrait-on dire, il édifie pour une grande part la géométrie de Nikolaï Ivanovitch Lobatchevski (1792-1856) et pour une moindre part celle de Bernhard Riemann (1826-1866). Finalement, il rejette les deux hypothèses de l'angle aigu et de l'angle obtus, car elles le conduisent à deux conclusions qu'il estime non admissibles, la première à l'existence d'une perpendiculaire commune à deux droites à l'infini, la seconde à l'affirmation que deux droites contiennent un espace.
Plus de trente ans plus tard, en 1766, le mathématicien suisse Johann Heinrich Lambert (1728-1777), indépendamment semble-t-il de Saccheri, dans une étude qui ne sera publiée qu'en 1786, suit fondamentalement la même démarche que Saccheri. Mais si, comme ce dernier, il rejette l'hypothèse de l'angle obtus, il est plus hésitant dans le cas de l'angle aigu.
Carl Friedrich Gauss (1777-1855) amorce vraiment, autour des années 1820, la rupture avec la croyance bimillénaire en la démonstrabilité du postulat des parallèles : Gauss pense que l'on peut démontrer de façon rigoureuse que l'hypothèse de l'angle obtus conduit à une contradiction, mais il arrive à la conviction que l'on ne peut pas y parvenir dans le cas de l'hypothèse de l'angle aigu. Cette vue entraîne un changement radical dans la conception de la géométrie. Gauss déclare que, désormais, « la géométrie ne doit pas être mise au même rang que l'arithmétique dont la vérité est purement a priori, mais plutôt au même rang que la mécanique ».
Lobatchevski, dont les travaux se situent entre 1826 et 1856,[...]
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Écrit par
- François RUSSO : ancien élève de l'École polytechnique, docteur en droit, conseiller à l'U.N.E.S.C.O.
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