BASELITZ GEORG (1938- )
Le jeu avec la tradition
En 1989, Bazelitz réalise un ensemble de vingt panneaux intitulés 45 (Kunsthaus de Zurich), qui renvoie explicitement au bombardement de Dresde et à l'Allemagne détruite et vaincue – un thème qui sera repris en sculpture. L'artiste, dont l'énergie et l'inventivité ne semblent jamais prises en défaut, exploite ici une nouvelle technique qui mêle huile et détrempe sur bois travaillé au rabot. Prolifique à un point rare, usant de toutes les libertés, il peut puiser dans la grande tradition allemande de la peinture romantique et rendre hommage à Caspar David Fiedrich, lorsqu'il reçoit une commande en 1999 pour les deux gigantesque toiles accrochées dans le Reichstad réhabilité. Tel Picasso s'inspirant des Ménines de Velázquez, il peut aussi, au cours des mêmes années, entamer une série où il reprend certaines œuvres liées au réalisme socialiste russe et inverser, non sans une certaine ironie, la figure de Lénine peinte par A. M. Guerassimov, en usant d'une technique proche du pointillisme. Dans les années 2000, tout en restant fidèle à l'inversion du motif – une tête de cheval ou une paire de chaussures – la couleur se fait plus claire, le fond s'allège, tandis que la violence première semble céder la place à des effets décoratifs et quelque peu maniéristes, comme la série Remix. À partir de 2015, il donne un nouveau cycle d’autoportraits et de doubles portraits avec sa femme.
Dans ce jeu permanent de défis vis-à-vis de la tradition, Baselitz, lors de la biennale de Venise de 1980, présente dans le pavillon allemand, l'une de ses premières expériences dans le domaine de la sculpture : ModellfüreineSkulptur(Modèle pour une sculpture, Museum Ludwig, Cologne). Il s'agit d'une œuvre massive, travaillée à la hache ou à la scie, dont la réalisation a exigé un effort physique considérable. Le côté asymétrique de la pièce, le poing levé de la figure, les traces de couleur destinées à modifier le volume surprennent, agressent et créent la polémique. Dans son recours à la sculpture, Baselitz refuse toute élégance artistique et considère son travail sur le bois, nourri par les totems et la sculpture africaine, comme des sortes d'idoles au primitivisme expressif qui pourraient remonter à la nuit des temps. Dans les années 2000, il réalise des sculptures représentant souvent un homme assis la tête appuyée sur le poing (Volk Ding Zero, 2009). En 2011, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente une rétrospective de ses sculptures créées de 1979 à 2010.
En 1977, Baselitz réalise sa première linogravure, qui surprend par son format hors norme (certaines de ses œuvres peuvent atteindre deux mètres sur un mètre cinquante). Sur bois, sur cuivre ou sur résine synthétique, l'artiste travaille aussi bien à la gouge et au burin qu'à la scie électrique en s'appuyant sur un savoir-faire technique remarquable, qui sait se faire de plus en plus inventif.
Son écriture possède alors un caractère de premier jet fiévreux, qu'il lui arrive de rehausser d'un coup de pinceau. Ainsi un aigle, un cerf, un corps de femme ou d'homme s'avèrent grandioses au point de rivaliser avec les maîtres du baroque ; le cabinet des estampes du musée d'Art et d'Histoire de Genève détient une collection de référence de l'ensemble de l'œuvre gravé de Baselitz. Avec une grandiloquence associée à une maîtrise exceptionnelle, « c'est dans le champ de l'estampe, écrit Rainer Michael Mason, que s'accomplit avec le plus de justesse le dessein fondamental de [son] art ».
Avec la gravure, comme avec la peinture et la sculpture, Georg Baselitz porte atteinte, une fois de plus, à l'intégrité de l'image. Par cet affront fait au sujet, l'artiste ne cesse d'affirmer sa position de rebelle vis-à-vis du contexte[...]
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Écrit par
- Maïten BOUISSET : critique d'art
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