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BRANDES GEORG (1842-1927)

Les orientations nouvelles

Malheureusement, de telles prises de position n'allaient pas sans revers. Au Danemark même, cet iconoclaste était mal vu de la « réaction ». On s'en prit, comme toujours, aux résonances morales que pouvait avoir cette œuvre fracassante. Accusé de pervertir la jeunesse, de chercher à dissoudre la société et de vanter l'immoralisme, Brandes se voit refuser la chaire d'esthétique qui lui revenait de droit à l'université, et doit s'exiler. De 1877 à 1882, il s'établit à Berlin où il va faire la découverte de Nietzsche qu'il contribuera, par ses études écrites directement en allemand, à faire connaître en Allemagne même. Il publie de nombreuses monographies pendant cette période.

L'influence capitale qu'il a subie est celle de Nietzsche. Désormais, il vivra sous l'emprise du culte du « surhomme », à quoi tendait une disposition profonde de son être. Il cherche, de plus en plus, à défendre les droits d'une aristocratie de l'esprit et à remplacer la religion par le culte des héros. Rentré à Copenhague en 1882, il y publie des études nombreuses et variées où se confirment son cosmopolitisme intellectuel, son esprit critique et sa nouvelle orientation nietzschéenne.

Et pourtant, il n'est pas heureux. Est-ce l'influence de Nietzsche ? Est-ce le phénomène banal qui veut qu'en matière d'art et de politique les prophètes d'hier deviennent la piétaille d'aujourd'hui, les événements se chargeant vite d'incarner leurs prédictions, voire de les dépasser, faisant alors passer le « mage » de naguère de l'avant-garde au gros de la troupe ? Toujours est-il qu'il développe à cette époque un curieux mépris de l'humain, une tendance, fâcheuse chez cet entraîneur, au pessimisme vaticinateur, une sympathie boudeuse pour ceux qui se tiennent à l'écart de la foule. Il se met à écrire ses souvenirs : Enfance et jeunesse (1905), Une décennie (1907), Prisons et horizons (1908). La guerre éclatant, il cherchera, après une vaine polémique avec Clemenceau, le compagnon d'autrefois, à adopter une attitude à la Romain Rolland, à se tenir « au-dessus de la mêlée » (La Guerre mondiale, 1916) : cela lui vaudra une universelle volée de bois vert qui s'intensifiera avec son virage à gauche de plus en plus prononcé, dans Le Second Acte de la tragédie (1919) où il exprime des sympathies non équivoques pour la révolution russe. Les dernières années de sa vie ne sont pas improductives pour autant. Surnagent les influences de Nietzsche et de Renan. Le premier l'incite à écrire les monographies de héros selon son cœur : Gœthe (1915), François de Voltaire (2 vol., 1916-1917), Napoléon et Garibaldi (1917), César (1918), Michel-Ange (1921). Le second est à l'origine de La Légende de Jésus (1925) où il s'efforce de démontrer, dans une perspective rationaliste, que le personnage de Jésus n'a pas d'existence historique.

Le 17 février 1927 meurt, à Copenhague, sinon oublié, du moins dépassé, loin du mouvement intellectuel du Danemark, solitaire et rempli d'amertume, celui qui, comme le disait H. Le Roux en 1895, « a fait entrer le monde scandinave dans le mouvement de la pensée moderne ».

De l'énorme édifice de ses œuvres complètes, des pans entiers se sont effondrés, caducs, et les failles béent au grand jour : cette espèce de naïveté qui le fait se jeter sur tout ce qui est nouveau parce que c'est nouveau, qui le porte aussi à croire que les théories mènent le monde ; une étrange incapacité à appréhender le phénomène religieux en soi, à admettre le côté spirituel d'une œuvre ou d'une époque ; un manque d'objectivité qui contredit ses prétentions à la critique historique scientifique. Le souffle est un peu court, et P. Rubow a raison de voir en lui, avant tout, un essayiste. Mais[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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  • DANEMARK

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