BÜCHNER GEORG (1813-1837)
« La Mort de Danton »
La Mort de Danton(1835) inscrit sa trajectoire entre le goût de l'action et le goût du néant, entre la politique et le mythe, entre l'histoire et sa négation, la guillotine, image des Parques insensibles, tranchantes. Il s'agit de la tragédie du révolutionnaire, du conflit qui se développe, au nom de la liberté, entre l'individualisme épicurien des Indulgents et la vertu des Intransigeants, alliée aux revendications concrètes des masses. Au-delà même de ce conflit formulable, ce sont les causes et les effets, les intentions et les actes, la puissance créatrice et la folie destructrice de la Révolution française qui ne cessent de se contredire, découvrant une multiplicité de lois complexes et implacables. Le progrès ouvre ainsi la porte aux démons archaïques d'une nature immémoriale, qui dévore ses propres enfants. Danton, visionnaire de cette étrange dialectique, se trouve en conséquence frappé, à l'heure de son destin, d'une indolence qui est l'envers de son audace historique. Robespierre, son vainqueur, est malgré les apparences lui aussi habité par l'hésitation. À vrai dire, cette hésitation fonde la structure même de la pièce ; elle se propage à l'ensemble des personnages et des événements, quitte à se résorber tantôt dans le volontarisme ou le fatalisme, tantôt dans la versatilité et l'arbitraire.
La pièce ne saurait être simplifiée, elle ne peut être interprétée ni comme une apologie ni comme une condamnation de la Révolution. Le drame reste ouvert, il continue à osciller entre la politique et le mythe, et si la poésie du néant l'emporte de facto sur le réalisme du progrès, elle ne peut cependant faire oublier les différents moments qui provoquent, chez le spectateur moderne, l'interrogation : interrogation sur le mystère de la volonté, sur les mobiles qui agitent la collectivité à l'heure où elle est appelée à se sauver ou à se perdre, bref, à se choisir. Et, à la fameuse lettre, toujours citée, où Büchner manifeste une horreur sacrée devant la fatalité qui règle le cours des choses – « L'individu n'est qu'écume sur la vague, la grandeur simple hasard, la maîtrise du génie un jeu de poupées... Qu'est-ce qui en nous ment, tue et vole ? » –, il n'est pas interdit d'opposer cette autre, dans laquelle il propose son drame comme un objet d'étude et d'observation.
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Écrit par
- Philippe IVERNEL : enseignant, chercheur
Classification
Média
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