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BÜCHNER GEORG (1813-1837)

« Léonce et Léna »

Léonce et Léna, l'unique comédie de Büchner, a été écrite en 1836, après La Mort de Danton et avant Woyzeck. Elle fournit un utile contrepoint aux deux drames, il est vrai en mineur. Elle prend la suite des comédies romantiques et se souvient de Shakespeare. Plus exactement, elle est à La Mort de Danton ce que le Triomphe de la sensibilité est à Werther : une tentative pour conjurer la magie de l'ennui, comme le Triomphe de la sensibilité était une tentative pour conjurer la mélancolie. Le prince Léonce est un inconsistant jeune homme, « se retournant comme un gant vingt-quatre fois par jour ». Chez lui, l'ennui s'exhibe et se dénonce comme un divertissement, au rythme d'un spectacle italianisant dont la seule loi consiste en l'arabesque spectaculaire. Ces arabesques peuvent paraître parfois mièvres – c'est au reste le sujet même de la pièce –, néanmoins le jeu de masques, où l'identité se perd non plus dans les abîmes profonds mais dans les surfaces chatoyantes, permet de mesurer avec quelle maîtrise Büchner domine le mal qui l'asservit. La rhétorique de l'ennui est ici rendue à l'aristocratie, à la société décadente des petites principautés, dont Büchner dit quelque part qu'elle n'a plus rien à apprendre de nouveau que la mort.

Deux écoles se partagent l'œuvre de Büchner. L'une voit en lui le précurseur du pessimisme héroïque ou esthétique, et le place tantôt à côté de Schopenhauer, tantôt à côté de Nietzsche, tantôt même à proximité d'un dandysme moderne. On cite Baudelaire. D'autres, au contraire, lisent dans Le Messager de Hesse, dans Woyzeck les signes d'une révolte plébéienne contre la traditionnelle misère allemande. Concluons que le théâtre de Büchner demeure ouvert, dans la forme comme dans les significations : abandon de la dramaturgie classique, alternance rapide des scènes de rue et des scènes d'intérieur, structures décentrées, oscillations entre l'histoire et le mythe. C'est cette ouverture qui constitue l'actualité de Büchner, reconnue une première fois, dès 1885, par les naturalistes et les socialistes, plus tard, après la Première Guerre mondiale, par les expressionnistes et, depuis la seconde moitié du xxe siècle, encore par les partisans d'un théâtre épique à la dimension de la société tout entière, sollicitant l'activité critique du spectateur. L'œuvre de Büchner, longtemps méconnue, est proche de notre époque pour avoir lutté contre la sienne.

— Philippe IVERNEL

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<em>La Mort de Danton</em> de G. Büchner, mise en scène de Claus Peymann - crédits : Lieberenz/ ullstein bild/ Getty Images

La Mort de Danton de G. Büchner, mise en scène de Claus Peymann

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