HAENDEL GEORG FRIEDRICH (1685-1759)
Conquête d'un royaume
La renommée qu'il s'est acquise vaut au jeune musicien de se voir offrir le poste de Kapellmeister de la cour de Hanovre. S'il accepte cette fonction honorable et bien payée, Haendel n'en mûrit pas moins un projet plus ambitieux. Il n'a pas plus tôt pris ses fonctions qu'il demande un congé et part pour Londres. Ce choix va conditionner toute sa vie. Par sa population comme par sa prospérité, Londres est alors la première ville du monde. En Grande-Bretagne, une aristocratie terrienne et une bourgeoisie commerciale, l'une et l'autre férues de culture, ont enlevé à la royauté le privilège de l'argent et du pouvoir. Cette multiplicité des patronages dictera sa conduite à Haendel.
Haendel fait goûter aux Anglais un produit musical qu'ils ignorent encore et où il est passé maître. Le 24 février 1711, Rinaldo, son premier opéra écrit pour eux, remporte un succès qui le confirme dans son projet. Il ne s'empresse toutefois pas de poursuivre son avantage ; les années qui suivent voient peu de compositions pour la scène. Haendel se montre plus soucieux d'assimiler la culture musicale de son nouveau pays et de se faire une place dans la société londonienne. Quelques pièces officielles lui permettront de se poser en successeur de Purcell, dont la mort, seize ans plus tôt, a laissé l'Angleterre sans voix.
La démarche se révèle payante. 1719 voit naître une Royal Academy of Music installée au King's Theater et dont Haendel est nommé directeur musical. L'institution n'est royale que de nom ; il s'agit en fait d'une initiative privée de quelques aristocrates décidés à s'offrir un plaisir nouveau. Haendel recrute des chanteurs, fixe les programmes et, surtout, il compose. Dans les neuf premières années de l'Academy, il n'écrit pas moins de quatorze opéras. En 1724, avec Giulio Cesare in Egitto ou Tamerlano, il offre le type le plus parfait de l'opéra à la manière italienne. Ambitieux et arriviste, Haendel utilise la puissance que lui donne son poste pour écarter toute concurrence. Plusieurs compositeurs (le plus connu est Giovanni Bononcini) apprendront ainsi l'inutilité de s'opposer à ce Jupiter tonnant.
Naturalisé en 1727, Haendel est chargé de composer quatre hymnes pour le couronnement du roi George II. Tout semble lui sourire, lorsque l'édifice soigneusement élaboré menace de s'écrouler. L'opéra est un coûteux jeu de princes, et les nobles lords actionnaires de l'Academy renâclent à payer le prix de leur plaisir. Lourd déficit, appels de fonds refusés, dépôt de bilan, le théâtre ferme ses portes le 1er juin 1728. Ne s'étant jamais assuré un protecteur officiel, Haendel se retrouve aussi nu que lors de son arrivée à Londres.
Il commet alors l'acte le plus héroïque, et le plus insensé, de sa carrière. Refusant de s'incliner devant la réalité économique, il décide de reprendre l'entreprise à son compte. Huit ans durant, il poursuit un combat perdu d'avance. Saison après saison, dans un climat d'indifférence ou d'hostilité ouverte, il monte des spectacles. Dix-sept opéras composés pendant cette période font preuve d'un génie sans cesse renouvelé. Abandonnant les livrets sentimentalo-historiques que pratiquent les Italiens, il revient à la tradition du premier baroque avec Orlando et Alcina ; il introduit des ballets dans ses compositions, s'essaie au genre de l'oratorio. Rien n'y fait : une ruine totale, argent, santé, réputation, est au bout du chemin. Le 13 avril 1737, il est frappé d'une paralysie du bras droit.
Tout pourrait se terminer ici. Mais l'homme Haendel est doté d'une formidable vitalité, tant physique que mentale. Quelques semaines de soins, et le phénix renaît de ses cendres. Il sait maintenant que l'opéra est à[...]
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Écrit par
- Jean-François LABIE : écrivain
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