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HEYM GEORG (1887-1912)

Le nom de Georg Heym reste associé à l'expressionnisme. Les adeptes de ce mouvement renvoient dos à dos les deux doctrines littéraires dominantes à l'époque : naturalisme et néo-romantisme ; c'est un nouveau rapport réalité-individu qu'ils cherchent à définir. L'homme est devenu l'outil d'une économie capitaliste en plein essor, un simple numéro dans un État impérialiste où l'armée et la bureaucratie sont toutes-puissantes. Pour Georg Heym, qui vit à Berlin depuis 1900, le sort de l'homme qui se perd dans l'anonymat des grandes métropoles industrielles devient le leitmotiv de la plupart de ses poèmes. S'il est à Berlin, c'est pour obéir à un père qu'il déteste et dont il subit l'autorité. Sa « révolte contre le père » prend la forme lyrique de visions d'horreur et de souffrance. Fasciné par la réalité grouillante et misérable des villes tentaculaires, Georg Heym se fait le poète de l'asphalte. Ses thèmes favoris sont les banlieues sordides, les cheminées d'usine aux ombres menaçantes, les cimetières, les salles d'hôpital, les accouchements, les dissections, les aveugles, les suicidés... Ses deux principaux recueils, Le Jour éternel (1900) et Umbria vitae (1912) sont consacrés à ces « Démons des villes », titre d'un de ses poèmes les plus célèbres. S'il reprend et amplifie ainsi une inspiration baudelairienne, il conserve la rigueur rythmique propre aux poètes symbolistes, dont il se fait l'héritier. La caractéristique de Heym est précisément de maintenir, dans une forme traditionnelle stricte, l'outrance et l'horreur de ses images. Il méprisait cordialement Stefan George, mais n'ignorait pas non plus la dette qu'il avait envers lui : sans sa leçon de rigueur, le lyrisme de Heym est inconcevable. Par certains thèmes qu'il reprend — dont celui d'Ophélie —, Heym fait aussi souvent penser à Rimbaud. Mais si l'on compare les deux poèmes sur ce thème d'Ophélie, on peut mesurer l'écart qui les sépare. Chez Rimbaud, Ophélie apparaît tel un « grand lys », les nénuphars froissés flottaient autour d'elle et soupiraient. Dans le poème de Heym, des rats ont fait leur nid dans la chevelure d'Ophélie, une anguille blanche glisse sur sa poitrine, ses mains flottent comme des nageoires, elle avance au milieu d'un cortège de chauves-souris. L'imagination du poète tord les formes, allonge les ombres ; il ne reste plus qu'une vision grimaçante, un cauchemar.

D'autres poètes expressionnistes prophétisaient des catastrophes sanglantes ; Heym, lui, ne prophétise pas, il décrit. Dans son poème La Guerre (Der Krieg), la guerre ne menace pas, elle est déjà présente : « Elle écrase la lune de sa main noire. » Pour Heym, l'intuition se transforme aussitôt en spectacle hallucinatoire.

L'œuvre de Georg Heym est mince ; un recueil de nouvelles Le Voleur (Der Dieb) s'ajoute aux deux recueils de poèmes : là encore, il est rare que cessent l'angoisse et les visions d'horreur. Quelques poèmes plus apaisés, consacrés aux paysages lointains, aux mers désertes, viennent tempérer l'outrance habituelle des poèmes. Comme Georg Trakl, comme d'autres poètes emportés par la guerre, Heym mourut jeune, à l'âge de vingt-quatre ans : alors qu'il patinait avec un ami sur la Havel, la glace se brisa brusquement et tous deux se noyèrent.

— Françoise AURIVAUD

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