SIMMEL GEORG (1858-1918)
Georg Simmel est, avec Max Weber, une des figures les plus importantes de la sociologie allemande classique, ces deux auteurs ayant, sur bien des points essentiels, une conception semblable de la sociologie.
Simmel est surtout connu comme le promoteur de la sociologie « formelle », une notion souvent mal comprise bien qu'elle soit à la fois claire, fondamentale et très généralement acceptée dans les sciences sociales contemporaines. Il l'est aussi pour avoir été un des fondateurs de la psychologie sociale.
Mais Simmel est d'abord – et c'est une priorité qu'il partage avec Weber – un des pionniers de la sociologie de l' action, dont il a parfaitement dessiné les fondements et les contours dans ses travaux épistémologiques. C'est cette orientation qu'il a donnée à ses études « macrosociologiques », ainsi qu'à celles – plus connues parce que plus accessibles – consacrées à la « sociologie de la vie quotidienne ».
Les fondements de la sociologie « formelle »
Très célèbre de son vivant et jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, Simmel a subi, en France surtout, une éclipse d'une vingtaine d'années, éclipse qui, comme celle de Weber d'ailleurs, trouve sa principale explication dans le fait que son œuvre ressortit à ce qu'on appelle souvent la sociologie de l'action. Or les principes de celle-ci sont peu compatibles avec les mouvements d'idées qui, comme le structuralisme et le néo-marxisme, ont exercé une influence importante entre 1960 et la fin des années soixante-dix.
Une autre raison de la difficulté d'accès que l'œuvre de Simmel paraît opposer au lecteur contemporain réside dans son caractère interdisciplinaire. Certains de ses livres comme les Problèmes de philosophie de l'histoire et une partie de Questions fondamentales de la sociologie concernent la philosophie des sciences sociales. D'autres, comme la Philosophie de l'argent, traitent de sujets macrosociologiques, en ignorant d'ailleurs les frontières entre sociologie et économie. Plusieurs de ses ouvrages enfin, ceux qui sont les plus connus, relèvent plutôt de ce qu'on appellerait aujourd'hui la psychologie sociale. C'est essentiellement sur ces essais microsociologiques que l'influence de Simmel s'est appuyée aux États-Unis, alors que son succès dans la France de l'entre-deux-guerres était surtout dû à ses travaux épistémologiques qui ont pour objet le problème de l'explication en histoire.
Mais la notion à laquelle on songe le plus fréquemment lorsqu'on veut caractériser l'œuvre de Simmel est celle de sociologie « de la forme » ou de sociologie « formelle ». Pour cerner cette notion, il faut en premier lieu prendre conscience de son origine kantienne. De même que la connaissance des phénomènes naturels n'est possible, selon Kant, que parce que l'esprit y projette des formes (par exemple l'espace et le temps), de même la connaissance des phénomènes sociaux n'est possible, selon Simmel, qu'à partir du moment où le sociologue organise le réel à l'aide de systèmes de catégories ou de modèles. Sans ces modèles, les faits sociaux constituent un univers chaotique sans signification pour l'esprit, exactement comme pour Kant l'expérience du réel se réduirait à une « rhapsodie de sensations », si elle n'était organisée par les « formes » de la connaissance. Utilisant un autre vocabulaire, Simmel exprime ici une idée voisine de celle qui transparaît dans une notion centrale de la pensée de Max Weber : un type idéal est en effet également une construction mentale, une catégorie, qui permet d'interroger la réalité sociale.
Selon Simmel, cette conception néo-kantienne s'applique aussi bien à la recherche historique qu'à la sociologie. Ni l'historien, ni le sociologue[...]
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Écrit par
- Raymond BOUDON : membre de l'Académie des sciences morales et politiques, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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