PABST GEORG WILHELM (1885-1967)
L'Autriche de François-Joseph a offert au cinéma un triple cadeau « impérial » : Eric von Stroheim, Georg Wilhelm Pabst et Josef von Sternberg.
Nés à une époque où l'empire des Habsbourg est encore somptueux, tous trois ont, au point culminant de leur carrière, contesté par l'image le type de société qui les a vus naître. Les trois personnalités diffèrent, mais leur protestation commune apparaît, dans leurs œuvres, comme autant de cris douloureux échappés à une adolescence lucide.
Des trois, Pabst est peut-être le plus sensible, le plus humain, le plus instable aussi, mû par un idéalisme social et fraternel, puis déçu, pour terminer sa vie et son œuvre en porte à faux dans un monde qui bouge.
Contestation
Né à Raudnitz en Bohême, Pabst était fils d'employé et aurait dû devenir ingénieur. Mais la passion du théâtre en décida autrement. De 1905 à 1914, il joua et mit en scène en Suisse, en Autriche, en Allemagne et aux États-Unis. Interné en France pendant toute la guerre, il y organisa un théâtre. Revenu à Vienne en 1920, il prend la direction de la Neue Wiener Bühne. Un des pionniers du cinéma allemand, Carl Froelich, l'entraîne alors derrière la caméra... Le metteur en scène demeure, il change seulement de moyen.
Seize ans de théâtre, en plein essor de l'expressionnisme pictural puis théâtral et cinématographique, ne peuvent pas ne pas laisser de trace. Son premier film, Le Trésor (Der Schatz, 1923), est baigné de clairs-obscurs et d'ombres portées. L'amour libre s'y oppose à la cupidité. Ce n'est qu'un début.
En Allemagne, où Pabst tourne quinze films en neuf ans, la république s'étiole, le mark s'écroule, l'économie s'effondre. Le monde bouge ; le communisme naissant attire les idéalistes, plusieurs bases d'un passé séculaire sont remises en cause.
Déjà la grande mutation des années trente s'annonce : Hitler se prépare. Pabst s'engage. Il veut « combattre le capitalisme du dedans », mais il exprime surtout sa pitié pour les réprouvés. Ses œuvres, dans leur combat pour une plus grande liberté sociale et morale, parlent plus au cœur qu'à l'esprit. Tout cela, c'est La Rue sans joie (Die Freudlose Gasse, 1925), « le tableau véridique et impitoyable des misères de la défaite et de l'inflation, de la rapacité des parvenus, de la fête nouvelle qu'ils mènent et qui inaugure l'ère du jazz, sans rien taire des rapports que l'antagonisme des classes noue entre la sexualité et l'exploitation sociale » (B. Amengual). Dans un lieu unique et privilégié, la rue, voisinent bordel et boucherie, les plaisirs encanaillés des bourgeois et les nécessités vitales des pauvres. Asta Nielsen s'y enlise, Greta Garbo en échappe, et forme avec un « bon » Américain un couple ambigu.
L'Amour de Jeanne Ney (Die Liebe der Jeanne Ney, 1927) met en scène en Crimée, à la fin du tsarisme, puis à Paris une sorte d'amour fou entre Jeanne et le jeune révolutionnaire qui assassina son père. C'est le roman du couple uni par-delà les conventions, contre toutes les embûches d'une société cupide et sans amour.
En alternance avec ses films sociaux, Pabst, profondément marqué par les théories de Freud, tourne Les Mystères d'une âme (Geheimnisse einer Seele, 1926) où il présente un cas d'impuissance, provoqué par un incident anodin, et symbolisé, dans le récit comme dans la traduction visuelle des obsessions, par les objets tranchants. Crise (Begierde, 1927) peint la solitude et les fantasmes d'une femme au mari trop occupé, jusqu'à sa prise de conscience par le divorce.
Les contraintes d'une société hyprocrite, l'asservissement des classes, les exigences refoulées du sexe : les deux tendances sociale et freudienne de Pabst se rejoignent, se compénètrent pour éclater dans[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Victor BACHY : professeur à l'université de Louvain
Classification
Médias
Autres références
-
LOULOU, film de Georg Wilhelm Pabst
- Écrit par Laurent JULLIER
- 884 mots
Loulou (Die Büchse der Pandora) passe dans l'histoire « classique » des styles cinématographiques pour illustrer le courant allemand de la Nouvelle Objectivité (« Neue Sächlichkeit »). Venu du théâtre, son réalisateur G. W. Pabst se caractérise par une conception « engagée » de son art, liant autant...
-
ALLEMAND CINÉMA
- Écrit par Pierre GRAS et Daniel SAUVAGET
- 10 274 mots
- 6 médias
...ou film de la rue : La Tragédie de la rue (Dirnentragödie, 1927) de Bruno Rahn, La Rue (Die Strasse, 1928) de Karl Grune, Asphalt (1929) de Joe May. Georg-Wilhelm Pabst, lui aussi, a su assimiler l'influence du Kammerspiel, bien qu'écartelé entre l'expressionnisme métaphysique du ... -
BROOKS LOUISE (1906-1985)
- Écrit par Daniel SAUVAGET
- 1 342 mots
- 1 média
Louise Brooks, grande figure mythique du cinéma à l'égal de Greta Garbo ou de Marlene Dietrich, n'a acquis ce statut, paradoxalement, qu'une trentaine d'années après avoir séduit les couvertures de magazines, et par la grâce d'un seul film. Son Pygmalion fut le cinéaste austro-allemand G. W....
-
CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire
- Écrit par Marc CERISUELO , Jean COLLET et Claude-Jean PHILIPPE
- 21 694 mots
- 41 médias
En 1930, en Allemagne, sortent L'Ange bleu, Quatre de l'infanterie (Westfront 18), réalisé par G. W. Pabst avant L'Opéra de quat' sous. Mais déjà les bandes hitlériennes parcourent les villes. Le nouveau réalisme du cinéma allemand, qui succède aux formes hallucinées de l'... -
WEILL KURT - (repères chronologiques)
- Écrit par Juliette GARRIGUES
- 1 307 mots
2 mars 1900 Kurt Julian Weill naît à Dessau, en Allemagne ; il est le troisième des quatre enfants d'Emma Ackermann et d'Albert Weill, cantor à la synagogue locale.
1915-1918 Kurt Weill prend des leçons privées de piano, d'harmonie, de composition et d'orchestration auprès d'Albert...