ROMERO GEORGE ANDREWS (1940-2017)
Un regard sur la société américaine
L'horreur chez Romero est plus sociale que sexuelle. Comme chez John Carpenter, ce qui est énoncé est plausible, à défaut d'être vérifiable par les faits. On note en particulier l’évolution du personnage du Noir dans la tétralogie : héros humain des trois premiers opus, il passe chez les zombies dans Le Territoire des morts et devient leur guide : Big Daddy. Au fil de son œuvre, George Romero a peaufiné le concept de perte d'identité à travers d'autres canevas. Dans Martin (1977), un adolescent éprouve le besoin de tuer pour boire le sang de ses victimes. Ce n'est pas un être surnaturel, mais un individu qui peine à s'intégrer. Romero travaille ensuite avec Stephen King sur le scénario de Creepshow (1982), une adaptation fidèle et humoristique de quelques bandes dessinées horrifiques qui ont marqué culturellement les deux hommes. Le cinéaste retrouve le représentant de la « terreur moderne » avec le sous-estimé La Part des ténèbres (1992), film dans lequel un écrivain perd littéralement le contrôle de ses écrits et de sa personnalité sous l'effet pervers d'un double qu'il a créé. Faisant écho au Jour des morts-vivants, Incidents de parcours (1988) est une extraordinaire réflexion sur la mutation et la dépendance : un scientifique devenu tétraplégique utilise un singe auquel il injecte un sérum destiné à développer ses facultés à s'adapter à l'environnement humain. L'animal finit par dominer son maître.
Après les attentats du 11 septembre 2001, Romero relève des comportements sécuritaires de repli chez les Américains, qui sont à l'origine du Territoire des morts. Les zombies sont parqués dans de vastes réserves, tandis que les privilégiés s'enferment dans des tours imprenables : entre les deux, des intermédiaires ou des mercenaires censés protéger les puissants et qui tentent de survivre. L'horreur sociale et métaphorique qui sourd de ce film renvoie bien à des peurs tout à fait contemporaines.
Les œuvres qui composent la tétralogie des zombies se veulent, de manière métaphorique et grinçante, le miroir de l'évolution de la société : la contre-culture des années 1960 contre les forces de l'ordre « fasciste » (La Nuit des morts-vivants), la société de consommation débridée qui reprend le dessus dans les années 1970 et dont le modèle iconique est le supermarché (Zombie), le reflux de la contre-culture et de la « consommation ludique » remplacée par le « tout-sécuritaire » des années 1980 (Le Jour des morts-vivants), enfin la mondialisation qu'on croit encore positive à l'aube du nouveau millénaire et qui induit un peu d'espoir chez les déclassés, qui pourraient reprendre en main leur destin (Le Territoire des morts)…
Chronique des morts-vivants (2007), dans un style proche du documentaire, décrit le rôle des médias dans la propagation de nouvelles alarmantes liées aux zombies. Influencé par le style potache de films comme Le Projet Blair Witch de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez (1999), Romero rompt partiellement avec la cohérence de sa tétralogie et réalise un film d’horreur standard. Dans son dernier film, Le Vestige des morts-vivants (2009), sombre drame familial dans le monde des zombies, force est de constater que le cinéaste perd le savoir-faire qui était encore présent dans son avant-dernier film.
George A. Romero meurt à Toronto (Canada), le 16 juillet 2017.
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
Classification
Médias
Autres références
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LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, film de George A. Romero
- Écrit par Michel CHION
- 1 252 mots
- 2 médias
Premier film à petit budget d'un réalisateur inconnu – George A. Romero alors âgé de vingt-huit ans –, La Nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead) acquiert lentement, et dans le monde entier, la réputation d'un sommet du film d'horreur, devenant un film-culte souvent cité aux...