CUKOR GEORGE (1899-1983)
Il y a dans la cinquantaine de films réalisés par George Cukor, de 1930 à 1981, la continuité et la cohérence d'une œuvre. Même s'il fut, comme beaucoup d'autres à Hollywood, un cinéaste travaillant à la commande, voire un technicien de confiance sauvant des tournages de la catastrophe ou terminant des réalisations commencées par d'autres (il est obligé lui-même d'abandonner le tournage de Autant en emporte le vent ou empêché de réaliser Chéri d'après Colette) ; même s'il s'est surtout défini comme director, réalisateur et directeur d'acteurs – il en fut un de tout premier plan –, force est pourtant de considérer Cukor, parmi les plus grands, comme l'un des auteurs du cinéma américain, pour l'élégance et la subtilité de ses mises en scène et surtout pour l'obstination étonnante de son propos et de ses thèmes.
Le spectacle comme sujet
« Il n'y a qu'un seul sujet au cinéma, disait un jour Jacques Rivette : le théâtre. » À l'instar de Jean Renoir ou de Sacha Guitry avec lesquels il n'est pas sans affinités, Cukor fait de ce sujet par excellence la préoccupation constante de la quasi-totalité de ses films, leur obsession, diversement formulée au gré des prétextes imposés par les producteurs et des scénaristes de rencontre ou de prédilection (dont Garson Karnin, surtout). La métaphore théâtrale donne, en effet, aux films de Cukor (comédies, comédies musicales, drames psychologiques, mélodrames, jusqu'au western et au film d'aventures), dans tous les genres alors en vigueur (à l'exclusion du thriller), un décor en même temps que des références très nettes au spectacle, privé ou public, et des personnages, avant tout des femmes qui plus ou moins explicitement sont toujours, librement ou par contrainte, des actrices.
Du spectacle, le cinéma de Cukor énumère les lieux en toile de fond de ses récits. Ces lieux sont, carrément, ceux du théâtre : outre l'adaptation de Roméo et Juliette (1936), A Double Life (1947), Les Girls (1957), ou Le Roman de Marguerite Gautier (Camille, 1937), jusqu'aux spectacles ambulants du théâtre forain dans l'admirable Sylvia Scarlett (1935), ou dans La Diablesse en collant rose (1959) ; ou encore : ceux du music-hall ou du show-business avec Zaza (1938), Les Girls ou Le Milliardaire (Let's Make Love, 1960) ; ceux du cinéma, avec What Price Hollywood (1932), The Actress (1953) et Une étoile est née (A Star is Born, 1954), voire ceux de la télévision ; ceux de la publicité dans Une femme qui s'affiche (It Should Happen to You, 1953), ou ceux des tribunaux dans Madame porte la culotte (Adam's Rib, 1949), et de nouveau dans Les Girls. Mieux, même parmi ses films qui ne se situent pas dans ce décor explicite, le théâtre n'en demeure pas moins la référence de la fiction, son centre de gravité. Cette théâtralité provient du parti pris de la mise en scène à devenir, avec ironie ou sécheresse, « mise en boîte ». Ce qui est alors filmé, ce sont, à huis clos, des paroles : le brouhaha et la cruauté des mots comme dans The Women (1939) où n'apparaissent à l'écran que des femmes, et ailleurs les aveux d'une extrême solitude qui est celle du couple comme dans Liaisons coupables (The Chapman Report, 1963), où la rigueur des cadrages enferme les personnages les uns à la suite des autres et les soumet à un véritable jeu de la vérité.
Cette théâtralité naît généralement d'une volonté de redoubler, à l'intérieur même de l'écran, la mise en scène sous ses divers aspects, qu'elle soit imposée ou plus ou moins librement décidée. Ici, elle est pure manipulation ; ainsi dans Hantise (Gaslight, 1944), où un homme exerce peu à peu son empire sur sa femme, possédant son corps et son esprit pour la rendre folle, afin de chercher en paix un symbolique[...]
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Écrit par
- Jérôme PRIEUR : essayiste, documentariste
Classification
Médias
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