GASCOIGNE GEORGE (1542-1578)
Étudiant à Trinity College, à Cambridge, George Gascoigne fit son droit à Gray's Inn et représenta son comté, le Bedfordshire, au Parlement (mal, car il ne put y siéger longtemps à cause de ses frasques). Il mena à Londres une vie assez dissolue pour que son père le déshérite, mais il se refit en épousant une riche veuve, la mère du poète Nicolas Breton (1545-1626). Bientôt ruiné une seconde fois, il s'engage sous Guillaume d'Orange pour échapper à ses créanciers, guerroie dans les Flandres, est prisonnier des Espagnols, revient au pays natal où il s'occupe de spectacles, en particulier des fêtes somptueuses données, en juillet 1575, au château de Kenilworth, résidence du comte de Leicester, en l'honneur de la reine, Les Plaisirs princiers (The Princely Pleasures). On dit que Shakespeare aurait vu ces divertissements. Après quoi, sa vie bien remplie, Gascoigne quitta ce monde à trente-six ans.
Mais il avait pris le temps d'écrire des poèmes, The Poesies of G. Gascoigne (1575), et un des premiers essais critiques, Notes sur la façon d'écrire des vers (Notes Concerning the Making of Verse) ; de paraphraser, dans Jocasta (1575), Les Phéniciennes d'Euripide ; d'écrire une satire en bonne et due forme, Le Miroir d'acier (The Stell-Glass, 1576), qui, mieux que le miroir de verre, montre les défauts des gens et comment les corriger. Ce bagage, cependant, serait bien léger si Gascoigne n'avait écrit la première comédie régulière en prose, Supposes (« Les Imposteurs » ou « Les Travestis »), jouée à Gray's Inn en 1566.
Cette comédie fait date, en effet. C'est une adaptation libre de la pièce de l'AriosteI Suppositi, 1509, où des personnages se substituent à d'autres à des fins intéressées : conquête du cœur d'une belle gardée par un cerbère (père noble ou mari jaloux), captation d'héritage, ou toute autre intrigue à mener. C'est évidemment une comédie d'intrigue, avec des quiproquos, des pièges tendus, évités, des rebondissements multiples, une fille à marier, des prétendants à écarter, des rivaux à humilier, de l'action, de la légèreté, de la bonne humeur. La morale (bourgeoise ?) triomphe, c'est déjà le « boulevard ». Mais il faut que ce soit bien fait, que l'on frôle l'invraisemblable sans trop de risques, que les méprises fassent du rieur le bon rieur, que l'on ne soit pas trop cynique avec l'amour (le public anglais n'aime pas ça) et que les vraies identités retrouvent leur vraie place avec leurs vrais sentiments.
Compte tenu de quelque embarras dans un dialogue qui n'a pas encore toute sa ductilité, d'un jeu un peu lourd sur les équivoques (nous n'en sommes pas encore aux insolences spirituelles des « combats d'esprit »), ces Imposteurs ouvrent la voie de la comédie anglaise. L'intrigue est bien menée (un étudiant et son valet échangent leurs habits pour conquérir la belle) et, venant de loin, sera reprise mainte fois. Le déguisement est un des procédés les plus féconds de la comédie. Shakespeare et bien d'autres s'en souviendront. L'apport de Gascoigne est loin d'être négligeable. Sa comédie, sans forcer la note, a des résonances modernes : on en ferait un bon film, avec cascades d'incidents.
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Écrit par
- Henri FLUCHÈRE : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence
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Autres références
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ÉLISABÉTHAIN THÉÂTRE
- Écrit par Henri FLUCHÈRE
- 10 600 mots
- 2 médias
On retrouve la filiation latine dans Supposes (1566) du poète-soldat George Gascoigne (1542 env.-1578), mais à travers la transcription italienne de l'Arioste, I Suppositi (1509), dont la comédie est une traduction libre. Supposes ouvre la voie à la comédie d'intrigue et servira de modèle à...