GROSZ GEORGE (1893-1959)
Un observateur scientifique
La toile suggestive Allemagne, un conte d'hiver (1917-1919) emprunte son titre au poète Henri Heine. La structure de l'œuvre est en trois parties. En haut, le tohu-bohu de la métropole où se dissout le zèle des églises, des bordels, des banques, des casernes, des services de pompes funèbres. Au milieu, un bourgeois chauve, moustache retroussée, imperturbable, assis devant une assiette remplie d'os, serre dans la main droite un couteau et dans la gauche une fourchette. Sur la table, un journal, un cigare, un verre et une bouteille de bière, dont l'étiquette est ornée d'une Croix de fer. En bas, trois personnages : un curé, un officier, un professeur, ce dernier portant sous le bras un livre de Goethe. Et, dans le coin gauche du tableau, le profil de Grosz, visage minuscule, tout noir et mâchoires contractées, avec une tache circulaire rouge à la tempe, comme pour insinuer que l'ensemble du spectacle incite à se tirer une balle dans la tête.
Cette toile, disparue à la suite des « épurations » conduites par le régime de Hitler pour éliminer la peinture « dégénérée », désigne clairement, avec pessimisme, les adversaires que visait Grosz. Il s'en prend aux piliers de l'ordre établi, comme dans Le Visage de la classe dirigeante, 57 dessins politiques (1921). Il se voulait en ces années d'après guerre, a-t-il écrit, moins un « satiriste » qu'un « observateur scientifique ». Jusque vers 1925, ses tableaux vont ainsi mettre à nu, dans une dénonciation au vitriol, les tares de la République de Weimar (Les Piliers de la société, 1926, Neue Nationalgalerie, Berlin).
Toutefois, sa notoriété s'est affirmée à travers les caricatures qu'il publiait dans la presse d'extrême gauche et par les recueils de dessins qu'il donnait aux éditions Malik, dirigées par Wieland Herzfelde, prétextes à de retentissants procès, comme celui qui eut lieu à propos de son Ecce Homo, en 1923.
À la suite de la désillusion causée par un voyage en Union soviétique en 1922, le peintre cesse de payer ses cotisations au Parti communiste. Il continuera néanmoins de collaborer à ses journaux et à ses activités culturelles jusqu'au début des années 1930.
George Grosz ne reste pas insensible à l'influence des courants esthétiques qui se diffusent alors : la peinture « métaphysique » de De Chirico, le constructivisme russe, la nouvelle objectivité. À l'instar de nombre de ses confrères, il donne, notamment, dans les portraits (Portrait de l'écrivain Max Herrmann-Neisse, 1925, Kunsthalle, Mannheim). Mais, réticent au réalisme de constat de la nouvelle objectivité, il se réclame du « vérisme ». Selon lui, le « vériste » peint des tableaux qu'il tend comme des miroirs à ses contemporains pour qu'ils s'y voient.
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Écrit par
- Lionel RICHARD : professeur honoraire des Universités
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