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MEREDITH GEORGE (1828-1909)

Encouragé dans sa vocation littéraire par Dickens, influencé par Thomas Love Peacock, plus tard l'ami de Rossetti et de Swinburne, Meredith apparaît étonnamment en avance sur son temps. Il s'attaque à l'idéal même qu'avait alors la nation britannique : celui du « gentleman », dont il démasque l'envers et l'hypocrisie. Son analyse psychologique extrêmement fouillée laisse pourtant subsister au sein de ses personnages une complexité intérieure, instinctive, si bien que ses caractères évoquent ceux de Shakespeare et de Dostoïevski. La lucidité qui est son objectif principal l'amène à traquer jusque dans leurs retranchements les « sentimentalistes », les despotes familiaux, les snobs, les pédants, les sentencieux dont il dévoile l'ignorance et la sottise, l'inconscience et les fausses vertus. Cette analyse s'accompagne d'une conception très originale et moderne du comique : l'esprit comique doit agir comme « l'épée du bon sens », pourfendre celui qui refuse de voir ses mobiles en face, comme celui qui (tel le « barbon » chez Molière) ne sait pas se situer par rapport aux autres.

Philosophe, moraliste, romancier, mais aussi excellent et émouvant poète, sa nature complexe, profondément originale, exprime les contradictions propres à l'époque victorienne.

Contre le « sentimentalisme »

Né à Portsmouth, mort à Box Hill (Surrey), Meredith fut définitivement marqué par l'abandon de sa première femme. Sa cible préférée fut le « sentimentaliste », c'est-à-dire celui qui confond sentiment et sensation, « qui désire jouir des choses sans en payer le prix ». Son roman The Egoist (1879) met en scène une figure appartenant à cette catégorie haïe, de même que dans The Adventures of Harry Richmond (1871) l'auteur avait dépeint un père aventurier, séducteur et mythomane. Tout comme le sentimentaliste, l'homme de système qui règle ses comptes à travers autrui est un égoïste qui s'ignore, attitude débusquée par Meredith à travers le personnage de sir Austin dans son premier roman, The Ordeal of Richard Feverel, où un père, avide de principes creux, frappé de cécité mentale, est pris à son propre piège. Tel est aussi le thème fondamental de ce petit chef-d'œuvre : The Tragic Comedians. Alvan, le protagoniste, athlète de la pensée et de l'action, est inspiré par la figure d'un certain Y. F. Lasalle, chef du parti républicain allemand, qui mourut en 1864 des suites d'un duel absurde. De ce point de départ historique, des mémoires irritants que laissa l'héroïne de l'histoire où elle traçait les lignes de son apologie personnelle, Meredith a tiré la substance de cette œuvre où un homme remarquable, vaniteux, débordant de vitalité, croit s'éprendre d'une petite oie blanche romanesque. Vision ironique d'une passion dépourvue d'amour, où chacun ne fait que poursuivre une image idéale de soi-même. On le voit : l'égocentrisme, ce délire borné d'une imagination occupée de soi où le réel, si riche, est perdu de vue, la mauvaise foi, cette rationalisation des faiblesses, vont jusqu'à causer la perte des êtres d'élite. Si Meredith dépeint toujours une certaine classe aisée, ce n'est ni par snobisme ni par esprit de caste, mais parce qu'elle permet précisément l'analyse des êtres les plus libres de s'adonner à leurs folies et à leurs travers. Personne n'a mieux montré la vanité creuse des idoles : ainsi cette scène étonnante des Aventures de Harry Richmond où toute une petite cour allemande honore dans le bronze d'un maréchal à cheval la personne d'un imposant guerrier, lorsque, brusquement, la statue bouge et se révèle n'être que l'aventurier Roy Richmond déguisé, couvert de plâtre, affublé de gantelets, étouffant mais exultant de jouer les[...]

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