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ORWELL GEORGE (1903-1950)

Des fables politiques

La Ferme des animaux est le seul roman d'Orwell sans personnage principal, une fable remarquablement composée qui traite de la libération des exploités et de la contre-révolution. L'auteur, qui s'est employé à combattre les mythes soviétiques depuis son expérience espagnole, y dénonce non pas la révolution (interprétation courante à l'époque de la guerre froide), mais le stalinisme qui a remplacé les anciens exploiteurs par d'autres qui leur sont devenus identiques, comme le décrit habilement le dernier chapitre. Un schéma analogue se retrouve dans 1984, mais le contenu véritable dépasse celui du livre précédent. Bien qu'Orwell, probablement pressé par la maladie et l'approche de la mort, n'ait pu introduire tous les éléments qu'il avait envisagé de traiter, ni même accorder une plus grande attention à la composition, 1984 s’avère d'une grande richesse et dépasse la seule critique des totalitarismes soviétique et fasciste. C'est, plus fondamentalement, du « collectivisme oligarchique » qu'il s'agit, ce qui inclut le pouvoir incontrôlable d'une technocratie (concept ici plus approprié que celui de bureaucratie), avec son cortège de coercition, de propagande, de mensonges – et amène de nouveaux développements sur les rapports de l'individu à la société, les fonctions du langage, le rapport à la sexualité...

Ainsi, Orwell, qui écrivait en 1945 que « le remplacement d'une orthodoxie par une autre n'est pas nécessairement un progrès », dépasse le statut réducteur d'opposant au soviétisme, comme il évite sa récupération par ceux qui se ralliaient au capitalisme et à l'OTAN dans les années 1950, époque où il symbolisait aussi l'honnêteté désenchantée qu'il attribuait aux couches populaires rendues perplexes par l'évolution du monde, la menace atomique, la guerre froide. Au-delà d'une simple politique, de la défense des libertés individuelles et du refus de toute forme d'oppression, la méthode orwellienne est mieux connue aujourd'hui, en France notamment, depuis la révélation de tout ce qui n'avait pas été traduit, essais et articles où l'écrivain s'attardait sur les valeurs de la culture populaire, les dérives du « progrès », la responsabilité des intellectuels et des médias, la pensée conventionnelle dominante (l'orthodoxie comme non-pensée), l'inversion de sens imposée par les pouvoirs... Autant de thèmes qui, depuis les années 1980, ont renouvelé les études sur une œuvre inclassable, et ce, malgré la permanence des attaques qui se fondent sur d'apparentes contradictions dans les comportements de l'auteur et les simplifications de certains textes écrits dans l'urgence (y compris au cours de la lutte contre une mort prochaine). La traduction tardive mais systématique de son œuvre a donné lieu à d'importants commentaires et analyses (Simon Leys, Jean-Claude Michéa, Jean-Jacques Rosat...) qui restituent et prolongent un auteur singulier, toujours stimulant, jamais soumis ni résigné, même devant la maladie qui l'emporta, le 21 janvier 1950, après des années de sanatorium et d'hôpital londoniens.

— Daniel SAUVAGET

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George Orwell - crédits : Ullstein Bild/ Getty Images

George Orwell

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