MURDOCK GEORGE PETER (1897-1985)
Vers une théorie empirique de la structure sociale
Les principaux résultats obtenus par ces techniques se présentent sous deux formes.
Les uns manifestent comment sont distribués, par régions et par aires, les traits culturels donnés sur un échantillon. C'est ainsi que le tableau montre que la monogamie s'observe de manière caractéristique dans 135 sociétés sur les 565 composant l'échantillon représentatif de l'univers étudié (le tableau n'en compte que 557, la différence s'explique par l'absence de données pertinentes pour huit sociétés étudiées), soit 24 p. 100 ; que la polyandrie, ou mariage d'une femme avec plusieurs hommes, et son opposé, la polygynie, ou mariage d'un homme avec plusieurs femmes, s'observent respectivement dans 4 cas, soit moins de 1 p. 100, et 415 cas, soit 75 p. 100. Ce même tableau montre aussi que la polygynie générale, ou polygynie prévalant dans plus de 20 p. 100 des mariages enregistrés, s'observe surtout en Afrique ; la monogamie dans les pays méditerranéens ; la polygynie limitée, soit moins de 20 p. 100 des mariages enregistrés, dans les îles du Pacifique ; et la polygynie sororale en Amérique du Nord.
Un second type de résultats, grâce auxquels s'esquissent les éléments d'une théorie empirique de la structure sociale, est fourni par la matrice des données combinant les traits culturels deux à deux. Ce mode de présentation permet en effet de tester des hypothèses explicatives.
On peut souligner que le mariage avec une cousine parallèle, fille du frère du père ou fille de la sœur de la mère, est lié à la patrilinéarité : douze sociétés sur douze, dans un échantillon de 564 sociétés, sont dans ce cas. Le mariage préférentiel avec la cousine croisée matrilatérale, ou fille du frère de la mère, est fortement lié à la patrilinéarité (34 sociétés sur 49), tandis que l'inverse – la liaison entre le mariage préférentiel avec la cousine croisée patrilatérale, ou fille de la sœur du père, et la matrilinéarité – est moins fréquent (8 sociétés sur 16). Quant à la liaison entre le mariage avec la cousine croisée symétrique, fille du frère de la mère ou fille de la sœur du père, elle n'est guère plus fréquente, 45 sociétés sur 88. L'hypothèse d'une relation entre préférence matrilatérale et descendance patrilinéaire est par là située parmi les diverses hypothèses voisines possibles, bien qu'elle ne soit qu'imparfaitement vérifiée.
À Murdock revient ainsi le mérite immense d'avoir préparé les bases théoriques, construit les dispositifs techniques, réuni les moyens pratiques pour vérifier, par l'ethnologie comparée, les hypothèses les plus générales de l'anthropologie sociale. La discussion porte désormais sur deux plans : celui de la convenance des moyens techniques, et en particulier des procédures de catégorisation, de codage et de mesure statistique ; celui de la pertinence de la méthode elle-même qui appréhende toutes les cultures selon un modèle descriptif unique, et conduirait, si l'on suivait ses détracteurs, à la « tabulation du non-sens ». Nourrie et vive, la controverse, aujourd'hui, demeure largement ouverte et se résout finalement en cette question : une théorie de la structure sociale valant pour l'univers entier des cultures peut-elle être bâtie à partir des éléments livrés par l'exploration ethnographique ?
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Écrit par
- Jean CUISENIER : conservateur en chef du musée des Arts et Traditions populaires, directeur de recherche au C.N.R.S.
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