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ADÉAGBO GEORGES (1942- )

Georges Adéagbo est né en 1942 à Cotonou (République du Bénin). Il grandit dans un milieu aisé mais se heurtera cependant à son père lorsqu'il décide de s'inscrire à l'université d'Abidjan pour commencer une capacité en droit. Il poursuivra son cursus à Paris tout en travaillant à Rouen pour financer ses études. En 1971, stagiaire chez Pechiney, il projette d'épouser une Française quand, à la mort de son père, sa mère le rappelle au Bénin pour qu'il l'aide à régler des différends avec les autres coépouses. Il est le fils aîné, et l'on attend de lui en effet qu'il remplace le père défunt. Ne voulant pas de cette charge, il s'oppose à l'incompréhension de sa famille qui le séquestre. Il devient un étranger dans sa propre famille, totalement reclus, coupé du monde, sans travail et sans moyens. Il ne reverra la France que vingt ans plus tard.

Sans doute pour échapper à cette solitude et s'enfuir de cette prison, chaque matin, Georges quitte la maison familiale pour se rendre à la lagune. « Je marche, je pense, je vois, je passe, je reviens, je ramasse l'objet qui me sollicite, je rentre, je le lis, j'écris des notes. J'apprends. C'est cette connaissance que j'expose. Une exposition, pour moi, c'est une étude faite après observation, que l'on porte à la connaissance des gens. Chaque jour, j'expose pour faire comprendre à ceux qui ne comprennent pas. J'attends la réaction des gens et c'est tout. J'ai commencé mes expositions dans la cour de la maison familiale, afin d'expliquer certaines choses qu'ils ne comprenaient pas. »

Georges Adéagbo ne s'approprie pas les objets, il dit que ce sont les objets qui le sollicitent. Il recueille tout ce qui est abandonné ou perdu : petites sculptures, vêtements, tissus, chaussures, disques, livres, jouets, coupures de journaux, notes, cailloux, paquets de cigarettes, morceaux de plastique... Comme autant de petites mémoires, de petits savoirs, empreints d'humanité, chargés d'une histoire personnelle ou collective qui renvoient à l'idée de perte, ou d'effacement de la mémoire. Georges Adéagbo organise à même le sol, dans un ordre précis, tous ces fragments d'une histoire « retrouvée ». Les tirant de la torpeur, du vide, de l'oubli, il les protège de la mort.

De cette multitude d'« expositions » quotidiennes, organisées de 1972 à 1994, tellement décalées dans le contexte culturel béninois, il ne reste rien. Tout était régulièrement jeté par les siens qui étaient incommodés et qui se sentaient envahis par cette accumulation d'objets. Curieux destin pour un travail qui voulait faire la lumière sur les choses du monde.

Georges Adéagbo reprenait inlassablement le chemin de la lagune pour trouver ses « expositions ». Et cet entêtement lui a valu d'être régulièrement interné. Cette obstination à « exposer pour expliquer » (pour être compris ?) le sauva peut-être. Le critique d'art André Magnin, en charge d'une collection internationale d'art contemporain, le découvrit par hasard à Cotonou, et, auprès de lui, Georges Adéagbo trouvera enfin écoute, attention et compréhension.

Grâce à lui, il put présenter ses « expositions » ailleurs que dans sa cour, en France d'abord, à la Saline royale d'Arc-et-Senans, en 1994, puis en Europe, et un peu partout dans le monde. Cette reconnaissance du monde de l'art, lui permit de gagner enfin l'attention de sa famille. « Artiste ? Ça ne me dit rien, ça ne change rien, je n'ai pas appris dans une école d'art, je suis témoin de l'histoire... Je me promène car un philosophe doit se promener pour voir et faire comprendre ce qui se passe dans la nature. Parvenir à deviner ce que représente chaque chose dans la nature. Toujours. » Devenu célèbre, Georges Adéagbo n'a pas changé sa manière[...]

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Écrit par

  • : conservateur de la Contemporary African Art Collection, historien de l'art

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