BIZET GEORGES (1838-1875)
La gloire posthume qu'à connue Bizet avec Carmen a fait de lui un des ces innombrables créateurs dont l'histoire n'a retenu qu'une œuvre, injustice flagrante si l'on considère l'importance de Bizet dans l'histoire de la musique française et la valeur indéniable de ses autres ouvrages. Il s'est imposé dans l'univers alors bien terne de la musique française, qui cherchait un nouveau souffle après le passage dévastateur de Berlioz et devait se contenter de compositeurs d'opéras comme Ambroise Thomas, Jacques Fromental Halévy ou Giacomo Meyerbeer. À cet égard, Bizet constitue le maillon indispensable qui mène à Debussy. À une époque où la musique française se complaisait dans une médiocrité facile, il est à l'origine d'un renouveau dont les retombées dépasseront largement le strict domaine lyrique.
Des dons exceptionnels
On ne risque guère de se tromper en rêvant de ce qu'eût été la place tenue par Bizet s'il avait eu le temps de la tailler à sa mesure. Son admiration pour Wagner et l'affirmation corollaire, dans son œuvre propre, d'un art qui lui est opposé en tout point disent assez bien qu'il était de taille à dresser devant l'envahisseur une digue puissante ; bien autrement que n'avaient chance de le faire les meilleurs musiciens de sa génération : un Saint-Saëns, un Delibes, un Massenet..., l'un trop sec, les autres trop frivoles. Il avait toutes les armes pour bien tenir ce rôle : le don inné, la science acquise, la générosité de cœur, la curiosité intellectuelle.
Le don ? Sans doute le tenait-il de la famille de sa mère, née Delsarte. Georges Bizet avait vu le jour à Paris le 25 octobre 1838. La musique était reine au foyer de son oncle François Delsarte, personnage extravagant, chanteur sans voix, mais professeur célèbre dans l'Europe entière. On peut comprendre que le mariage d'Aimée Delsarte avec le coiffeur-perruquier Adolphe Bizet ait pu être vu d'un assez mauvais œil dans un tel milieu, encore que ce nouveau Figaro ne fût pas dépourvu de talents musicaux, qu'il développa en devenant compositeur et professeur de chant. Georges Bizet, qui n'eut jamais pour son père beaucoup d'estime, lui rendait témoignage, le disant « le seul professeur qui connaisse l'art de la voix », propos un peu désobligeant pour l'oncle Delsarte.
La science acquise ? Bizet, pianiste virtuose dès l'enfance, par les soins de sa mère, entra au Conservatoire par faveur, avant l'âge requis, et y fit brillamment toutes ses classes, jusqu'au prix de Rome qu'il remporta à dix-huit ans, dès son deuxième concours, en 1857. Il avait déjà fait jouer l'année précédente, aux Bouffes-Parisiens, une opérette en un acte, Le Docteur Miracle, qui lui avait valu le premier prix, ex aequo avec Charles Lecocq, dans un concours organisé par Offenbach. C'est dire la précocité du jeune musicien, que viendra confirmer encore la découverte, en 1933, de la Symphonie en ut, écrite à dix-sept ans et jugée inavouable par son auteur lui-même. Elle contient pourtant, parmi beaucoup de détails exquis, une longue phrase de hautbois où se montre clairement la générosité d'une invention mélodique dont il devait donner par la suite des exemples fameux.
Quant à son langage harmonique, il est le plus précieux, le plus savoureux et le plus personnel de la musique française de son temps. Son art des enchaînements rares et imprévus, sa façon d'éclairer une mélodie rigoureusement diatonique et tonale par des accords contrastés, empruntés au besoin à des tonalités étrangères, son jeu raffiné des retards et des appoggiatures, tout signale en lui un artiste devenu maître de son langage.
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Écrit par
- Henry BARRAUD : compositeur de musique, ancien directeur de la musique et du programme national de la Radiodiffusion française
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
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Médias
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