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CANGUILHEM GEORGES (1904-1995)

Histoire des concepts, histoire des objets biologiques

Mais, en matière d'histoire des sciences, on peut choisir une échelle macroscopique des sujets étudiés. De ce point de vue, on peut dire que Canguilhem a mené trois grandes enquêtes. La première concerne le système d'émergence des objets de la biologie : la vie comme animation, la vie comme mécanisme, la vie comme organisation et la vie comme information. Les différentes versions du thème des générations spontanées, qui s'enracinent dans un mythe relatif à l'origine de la vie, offrent un bon exemple d'obstacle à son intelligence. La deuxième enquête concerne le système d'apparition des principes constitutifs de la physiologie comme discipline scientifique. D'un côté, il s'agit d'analyser les différents styles de la recherche : une science baroque au xviiie siècle, une science de type expérimental au xixe siècle. De l'autre, il s'agit de décrire les conditions de possibilité techniques et conceptuelles d'un savoir rationnel. Enfin, il s'agit d'examiner les problèmes majeurs de la physiologie au xixe siècle. Quant à la troisième enquête, elle concerne le système de construction d'une médecine scientifique. Des nécessités d'ordre pratique entraînent, en matière de médecine opératoire, la construction de modèles renvoyant eux-mêmes à ce que Canguilhem nomme des idéologies scientifiques. Or ces dernières doivent être à la fois séparées et liées au présent de la science. Séparées, parce que le mode de solution qu'elles peuvent offrir au problème de l'étiologie reste incomparable, dans son champ et dans ses concepts, avec la science pastorienne. Liées au présent de la science, dans la mesure où elles constituent des étapes épistémologiquement nécessaires à sa constitution. Mais Canguilhem montre qu'il fallait une révolution dans la chimie et le détour pastorien par la cristallographie pour que la chimiothérapie tienne la promesse de l'idéologie.

À l'époque où Merleau-Ponty constatait que « les discussions autour du mécanisme et du vitalisme restent ouvertes », Canguilhem abordait ces débats sur le terrain de l'histoire des sciences. La plupart des textes publiés dans La Connaissance de la vie soulignent la fécondité de ces positions en montrant comment elles orientent la recherche. Mais il y a plus. Canguilhem montrait le rôle du vitalisme dans un domaine qu'on croyait définitivement occupé par le mécanisme : l'histoire de la formation du concept de réflexe au xviie et au xviiie siècle en porte témoignage. Plus récemment, cette thématique reformulée à partir du concept de normalité éclairait d'un nouveau jour l'histoire de la constitution de ce que la biologie tient pour son objet propre. On pourrait peut-être distinguer, dans l'œuvre de Canguilhem, une histoire des théories, une histoire des concepts et une histoire des objets biologiques. Dans l'histoire des théories biologiques, Canguilhem restitue une dignité au préscientifique et rehausse la signification des constructions discursives en étant attentif à leur noyau positif. La science ne doit pas être séparée de ce qui n'est pas encore scientifique : la théorie de Buffon comme « thème de rêve théorique » et celle d'Oken (1779-1851) comme « anticipation » sont des discours que l'historien doit situer dans l'espace de la connaissance. Dans l'histoire du concept de réflexe, il s'agit d'établir comment mythes et images jouent un rôle de premier plan dans l'élaboration d'un concept scientifique mais, aussi, de montrer que la physiologie naissante révèle, par rétrospection, la nature d'obstacle d'une mythologie de la flamme et d'une métaphore optique. Canguilhem fait une distinction entre une théorie qui autorise la formation d'un concept (celle de Willis) et une théorie qui lui forme écran (celle de Descartes). De plus,[...]

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  • CORPS - Cultes du corps

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