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GEORGES DANDIN, OU LE MARI CONFONDU, Molière Fiche de lecture

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Galanterie, féminisme et triomphe de l’amour

Bien qu’elle relève du poncif, l’histoire d’une épouse qui retourne la situation en sa faveur résonne avec les aspirations protoféministes des années 1660. Après L’École des maris, où s’opposaient deux conceptions des rapports matrimoniaux, après L’École des femmes qui ridiculisait une idée traditionnelle du mariage et du rapport entre les genres, Angélique exprime, plus directement encore, une vision galante et libérale de l’amour et de la séduction. Dans une discussion sur le mariage avec Dandin, elle affirme son droit à profiter des plaisirs de la galanterie – « Je ne me scandalise point qu’on me trouve bien faite, et cela me fait du plaisir » – et refuse de considérer le mariage comme un lien de propriété : « parce qu’un homme s’avise de nous épouser, il faut d’abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce avec les vivants ? »

De telles déclarations correspondent aux codes amoureux partagés par le public de la cour. Mais en les explicitant aussi frontalement, Molière joue aussi avec les limites délicates entre galanterie et grivoiserie. Deux ans plus tôt, en 1665, était en effet parue l’ Histoire amoureuse des Gaules  qui prétendait dévoiler la vie secrète et scandaleuse de femmes en vue. L’ouvrage valut à son auteur, Bussy-Rabutin, son exil de la cour – la frontière est donc ténue.

Georges Dandin est repris trois fois à la cour en novembre 1668. On peut donc s’étonner de son échec cuisant lors des représentations au Palais-Royal. La concurrence de l’Hôtel de Bourgogne ou du Marais a-t-elle été particulièrement forte à ce moment-là ? Le désintérêt s’explique peut-être aussi par l’absence de la pastorale originale et le contraste qu’elle confère à Georges Dandin. Sans cela, la pièce n’est en somme qu’une pochade sur un paysan parvenu, avec un titre passe-partout. Quelques semaines après le succès mitigé de L’Avare, il semble que même la signature de Molière n’ait pas suffi à intéresser le public parisien.

La réception moderne de Georges Dandin, quant à elle, renverse littéralement le sens originel de la pièce. Compte tenu du sujet, on comprend bien comment une lecture postrévolutionnaire a pu transformer Georges Dandin en un tableau des inégalités sociales et des souffrances domestiques qu’elles engendrent. Une lecture plus philosophique mettra également en lumière le désespoir de Georges Dandin qui se fait alors sujet tragique. Ces deux lectures se heurtent toutefois à des aspects de la pièce sur lesquels elles font l’impasse. D’une part, Georges Dandin n’apparaît certainement pas comme un héros du peuple : son costume ridicule et outrancier dit son arrivisme et son désir de s’extraire de sa condition. Il ne suscite pas non plus la compassion : Molière a pris soin d’en faire un mari borné, odieux par endroits, sans pitié pour son épouse dont il a « arraché » le mariage à ses parents sans « consulter [ses] sentiments ». Ainsi, le rire de la cour vis-à-vis de Georges Dandin est bien plus progressiste qu’une lecture qui prend cause pour un mari détestable.

— Christophe SCHUWEY

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