BEAUREGARD GEORGES DE (1920-1984)
La révolution technique et esthétique résumée dans l'expression « nouvelle vague », de 1959 à 1963, aurait eu lieu quels qu'en fussent les agents ou les vecteurs. Le producteur Georges de Beauregard lui a cependant imprimé un caractère original, en concentrant les individus et les formules autour de sa firme Rome-Paris Films et de ses bureaux du 9, rue Kepler, jusqu'à créer autour de lui une sorte de Grand Atelier – cet idéal de toute Renaissance. En 1959, Georges de Beauregard, qui a fait de solides études classiques, qui a été militaire, journaliste, importateur de films, puis producteur en Espagne au milieu des années 1950, fait confiance à un jeune rédacteur des Cahiers du cinéma. Jean-Luc Godard réalise ainsi À bout de souffle, à partir d'un sujet que lui avait abandonné François Truffaut. Le film non seulement réussit au-delà de toute espérance, mais devient le manifeste d'une nouvelle école et d'une nouvelle esthétique. Godard reste dans la maison (il a tourné sept films pour Rome-Paris Films entre 1960 et 1965, dont Le Mépris et Pierrot le Fou, puis deux autres en 1975-1976 pour Bela Productions, la nouvelle firme que Georges de Beauregard avait créée en 1973), et il y introduit Jacques Demy et Jean-Pierre Melville, l'ancêtre commun. Demy amène Agnès Varda... Une chaîne se met ainsi en place : Claude Chabrol rejoint l'équipe, puis Jacques Rivette et Éric Rohmer. Georges de Beauregard, « tyran débonnaire, colérique et jovial », aux dires de Bertrand Tavernier, animait, insufflait, canalisait les énergies.
Mais Georges de Beauregard n'a pas été seulement cet ordonnateur souverain de la Nouvelle Vague. Sa première production française avait été La Passe du diable en 1956 : un scénario de Joseph Kessel, tourné en Afghanistan par Jacques Dupont et Pierre Schoendoerffer. Son dernier film fut, en 1982, L'honneur d'un capitaine, du même Schoendoerffer. Entre le producteur qui rêve d'aventures et le cinéaste formé au feu en Indochine (Schoendoerffer a filmé de l'intérieur la bataille de Diên Biên Phu et a été capturé par le Viêt-minh), une complicité définitive s'était nouée en 1955, qui a valu au cinéma français quelques-uns de ses meilleurs films d'action, ou de réflexion sur l'action : La 317e Section, en 1964, puis Le Crabe-Tambour, en 1977, questionnaient une caste militaire probablement anachronique, ébranlée, déchirée par les guerres coloniales.
De Beauregard n'a pas suscité de ces films dont on dit qu'ils sont des « films de producteur » et dont le metteur en scène n'est qu'un exécutant, un yes-man comme disent les Américains. Dans le cas précis de sa collaboration avec Schoendoerffer (et aussi, mais avec une réussite moindre, pour les films qu'il a confiés à Raoul Coutard), il y avait une complicité flagrante, un accord intellectuel et probablement politique entre le producteur et le cinéaste. Le cinéma est sorti gagnant de leur rencontre et de leur entente.
Enfin, Georges de Beauregard a su dépasser la Nouvelle Vague en préparant la relève. En 1965, il avait senti avec lucidité que le cinéma changeait : « Dans la Nouvelle Vague, on jouait plus sur un système de vie que sur des personnages ou des situations. Le public préfère des situations et on va y revenir. » Il venait alors de produire deux films à sketches, Les Baisers et La Chance et l'amour, dans lesquels il donnait leur première chance à quelques jeunes qui abordaient la réalisation : parmi eux, Claude Berri et Bertrand Tavernier. « Un producteur doit avoir une espèce de laboratoire de gens qu'il fait sortir peu à peu... », disait encore Georges de Beauregard. Ce producteur exigeant aimait les autres, artistes comme réalisateurs : ce n'est pas si commun dans sa profession.
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Écrit par
- Jean-Pierre JEANCOLAS : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
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