LA TOUR GEORGES DE (1593-1652)
Entre maniérisme et caravagisme
L'absence de documents sur les années de formation de Georges de La Tour (entre 1605 et 1615) réduit aux hypothèses l'étude des sources de son art. Les œuvres diurnes que l'on s'accorde à situer dans la première partie de la carrière de l'artiste – tels les Apôtres (six originaux conservés dont deux à Albi, musée Toulouse-Lautrec), les Mangeurs de pois (Gemäldegalerie, Berlin), La Rixe du musée Paul Getty (Malibu, Californie) ou, un peu plus tard, La Diseuse de bonne aventure du Metropolitan Museum, New York – sont généralement rattachées à la mouvance caravagesque pour leur réalisme et certaines mises en page, mais elles n’en doivent pas moins au maniérisme le brio de la facture, la préciosité des tons, les raffinements d'écriture et une certaine verve descriptive. La présence à Nancy, jusqu’à sa mort en 1616, du peintre Jacques Bellange, adepte d'un maniérisme exacerbé à la poésie ambiguë et souvent déroutante, a amené certains critiques à suggérer que La Tour avait pu recevoir des leçons de ce grand artiste qui semble avoir œuvré toute sa vie pour la cour de Lorraine. Que La Tour ait croisé Bellange en Lorraine, cela est très probable : pour autant, entre les premières œuvres connues du peintre de Lunéville et l’art de Bellange, les affinités souvent relevées (visages en forme d’œuf d’autruche, thème de la rixe de musiciens, figures de gueux, luminisme…) sont trop ponctuelles pour appuyer l’hypothèse d’une filiation entre les deux artistes.
Comme peintre de « nuits », c'est-à-dire de nocturnes éclairés par une source lumineuse artificielle visible dans le tableau, La Tour s'inscrit dans un courant fort ancien de la peinture occidentale, auquel le caravagisme apporta toute la force de conviction de son langage réaliste. Au-delà du luminisme, c'est peut-être dans l’œuvre de Caravage lui-même que le Lorrain puisa cette faculté de donner aux êtres et aux choses les plus humbles une dimension spirituelle, et, inversement, de trouver dans la réalité la plus prosaïque les motifs d'un art profondément religieux. Les deux aspects – luminisme et poétique caravagesque – renvoyant à l'éternelle question d'un éventuel voyage de l'artiste à Rome vers 1610-1615, voyage qu'aucun document n'est venu confirmer (alors qu’il l’est pour tant d’autres artistes français et lorrains de l'époque !), ou encore à l'hypothèse, guère plus documentée, d'un séjour en Flandre ou aux Pays-Bas (notamment à Utrecht mais aussi à Anvers), où, vers 1615-1625, Gerrit van Honthorst, Gerard Seghers, Hendrick Terbruggen, Dirck van Baburen, Adam de Coster, de retour d'Italie, importèrent la mode du caravagisme (et des « nuits »). Peut-être est-ce, dans l'un et l'autre cas, aller chercher bien loin ce qui a pu s'opérer in situ, grâce à la circulation des œuvres (une Annonciation de Caravage est conservée à Nancy depuis 1608-1610), à leur diffusion par l’estampe, et au va-et-vient des artistes et des collectionneurs. N'oublions pas que Jean Le Clerc, élève de Saraceni et adepte lui aussi du luminisme, est de retour à Nancy vers 1622 ; or les affinités ne manquent pas entre ses œuvres et celles de La Tour. Quant à Paris, qui ne cesse d’être un grand foyer de création et un carrefour d’influences, il serait étonnant que notre artiste n'y ait pas pris quelque chose. N'est-ce pas à Paris, où une forte traditionréaliste alimentée par la présence ancienne de lignées d’artistes de Flandre et des Pays-Bas coexiste avec un renouveau du grand art maniériste royal (Jean de Hoey, Ambroise Dubois, Toussaint Dubreuil, Martin Fréminet…) sous le règne de Henri IV et où le goût des effets nocturnes se répand sous l’influence notamment des Vénitiens, plutôt qu'à partir de Rome, qu'il convient de rechercher[...]
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Écrit par
- Robert FOHR : historien de l'art
Classification
Médias
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