DUMÉZIL GEORGES (1898-1986)
Enfant brillamment doué, né à Paris, en 1898, d'un père polytechnicien, Dumézil s'intéressa très tôt à des matières telles que le grec ancien et le sanskrit. Quand, à sa sortie de l'École normale supérieure, après avoir passé l'agrégation, il prend, en 1920, son premier poste de professeur au lycée de Beauvais, il a déjà, confusément peut-être, le sentiment de ce qui passionnera toute une vie de recherche exemplaire : cette volonté de comparer des textes et des habitudes apparemment fort éloignés dans le temps et dans l'espace. Dès cette époque, il dépose, en effet, les sujets de ses thèses de doctorat (qui seront toutes deux publiées en 1924), l'une consacrée au Festin d'immortalité, étude mythologique comparée indo-européenne, l'autre au Crime des Lemniennes, rites et légendes du monde égéen. Son idée fondamentale est qu'il existe une grande communauté indo-européenne, que son œuvre va s'efforcer de définir, si ramifiée et diversifiée qu'elle soit depuis quelque quatre mille ans.
Dumézil assimile alors avec une confondante maîtrise toute une série de langues anciennes, qui vont du sanskrit au dialecte des Oubykhs en passant par le vieux norrois.
Dès 1929, avec le Problème des Centaures, il inaugure cette science que l'on appelle « étude comparative des religions des peuples indo-européens ». La rencontre, décisive pour lui, du sinologue Marcel Granet, en 1933, l'aide à prendre conscience de l'existence de mécanismes, de « structures » mentales profondes qui dictent, chez des peuples différents, quoique reliés les uns aux autres par des filiations génétiques, des comportements et des attitudes homologues. Étant donné l'abus que l'on a fait depuis lors des vocables « structures » et « structuralisme », Dumézil en est venu à les récuser pour préférer l'usage du participe passé « structuré », le principe qui l'inspire étant que l'analyse patiente des mythes, des rites et des divers types d'organisation sociale, d'un domaine linguistique à un autre, permet de dégager l'évidence de thèmes et de schèmes communs suffisant à fonder une parenté, une communauté.
Ouranos-Varuna (1934) ouvre avec éclat une longue série d'études comparatistes destinées à faire apparaître de telles ressemblances. Il s'agit par là non de déterminer des « influences » ou des « résurgences », mais bien de montrer que, à travers les avatars de leurs histoires respectives, les peuples indo-européens – chacun s'adaptant au substrat local qu'il a trouvé sur son chemin –, retrouvent des attitudes communes, c'est-à-dire une parenté inscrite déjà dans les idiomes qu'ils parlent. Ces schèmes organisationnels – sociologiques, littéraires, éthiques ou religieux – fournissent autant de clés pour la compréhension en profondeur des mentalités de ces peuples. Après de fécondes études en Turquie, où il fut, de 1925 à 1931, professeur d'histoire des religions à l'université d'Istanbul, puis à Uppsala, de 1931 à 1933, où il fut lecteur et directeur de la Maison de France, Dumézil voit confirmer l'originalité et l'utilité de son enquête lorsqu'une chaire de mythologie comparée est créée expressément pour lui à la Ve section de l'École pratique des hautes études, en 1935.
En 1948, il est nommé au Collège de France pour y occuper la chaire dite de « civilisation indo-européenne », fonction qui ne l'empêcha pas de multiplier voyages et séjours d'études à l'étranger, notamment au Pérou, en Turquie et aux États-Unis, où il enseigna fréquemment (Princeton, 1968-1969 ; Chicago, 1969-1970 ; Los Angeles, 1971).
L'œuvre de Georges Dumézil semble schématiquement s'ordonner en deux séries, dont les moments d'ailleurs se modifient[...]
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Écrit par
- Régis BOYER : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
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