MÉLIÈS GEORGES (1861-1938)
Le cinématographe, tel que le concevait Louis Lumière, était d'abord une curiosité scientifique, un instrument de laboratoire, une sorte de jouet perfectionné, quelque peu magique, certes, mais ne pouvant guère dépasser le stade expérimental. De la photographie en mouvement, ni plus ni moins. De l'art, peut-être, mais non du spectacle, qui suppose une complicité avec le public, un rituel, qui implique le truquage et l'illusion, fondements de toute représentation. Il fallait, pour passer de l'un à l'autre, non plus un homme de science mais un prestidigitateur, un magicien, ayant l'expérience et le génie des planches : ce fut Méliès.
Contemporain des frères Lumière, Georges Méliès part du principe que ce miroir de la réalité qu'était alors le cinéma (« la nature prise sur le vif », disaient avec orgueil ses inventeurs) devait devenir un tremplin de l'illusion. Les opérateurs Lumière parcouraient le monde à la recherche d'images lointaines : lui s'enferme dans son studio de Montreuil, spécialement édifié pour la circonstance, dispose devant la caméra des décors de toile peinte, s'en va à la quête de l'artificiel, du saugrenu, de l'insolite. Chez Lumière, la véracité des images fait oublier que l'on est au spectacle. Méliès, lui, annonce franchement la couleur : un rideau s'ouvre, la féerie va commencer avec le voyage imaginaire, thème favori du cinéaste. Pour pallier en effet ce déficit de réalité, transcender la médiocrité du paysage et du matériau, il suffit d'avoir recours au simulacre d'un déplacement incessant, de transformations à vue, de bonds prodigieux suggérés à l'imagination. Entre 1896 et 1914, Méliès réalise ainsi une centaine de films, d'une fraîcheur et d'une poésie inégalées (Le Voyage dans la Lune, 1902 ; Le Royaume des fées, 1903 ; Les Quatre Cents Farces du diable, 1906 ; La Conquête du pôle, 1912), tout en inventant, à lui seul, la technique de l'exploitation commerciale, l'organisation corporative, la prise de vues en studio, les truquages (dont quelques-uns pratiqués aujourd'hui encore), le montage, la régie, la publicité, la figuration, et l'on en passe. On comprend que Louis Lumière ait pu saluer en lui « le créateur du spectateur cinématographique » et Griffith déclarer : « Je lui dois tout. »
Le génie de Méliès réside dans un mélange unique de précision mécanique et de fabulation, de rigueur et de bouffonnerie, d'ingéniosité et de funambulisme. Tous ses films sont des voyages, merveilleusement organisés, « à travers l'impossible ». Il donne, selon ses propres termes, « l'apparence de la vérité à des choses entièrement factices, que l'appareil photographie avec une précision absolue ». Non point, comme Lumière, l'illusion du réel, mais, si l'on ose dire, le réel de l'illusion. Sa postérité, il faut la chercher du côté de Mack Sennett, des Marx Brothers, du Mécano de la Générale de Buster Keaton, sans parler de tout un secteur du cinéma d'anticipation qui culmine avec 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick.
Vaincu par les progrès de l'industrie du film, ruiné par la guerre, Méliès vit ses ateliers, ses studios, son théâtre détruits ou vendus à l'encan. L'essentiel de sa production fut miraculeusement conservé et put être restauré. En 1925, on le retrouva vendant des jouets à la gare Montparnasse. Il mourut d'un cancer, après avoir passé ses dernières années dans un appartement que la mutuelle du cinéma lui avait offert en signe de reconnaissance et d'admiration au château d'Orly.
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Écrit par
- Claude BEYLIE : docteur ès lettres, professeur émérite à l'université de Paris-I, historien du cinéma
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