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COHEN GEORGES N. (1920-2018)

Article modifié le

Georges N. Cohen - crédits : Institut Pasteur

Georges N. Cohen

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Georges Nissim Cohen, né le 25 mars 1920 à Constantinople (Istanbul auj.), est issu d’une famille juive grecque. Il arrive à Paris avec sa famille dès l’âge d’un an et est naturalisé français en 1930. En 1933, à la suite de la crise économique, ses parents quittent la France pour Athènes où il fréquente le lycée français chez les frères maristes tout en apprenant le grec auprès des enfants de son âge. Après le baccalauréat, il revient seul en 1938 à Paris. Il loge à la Cité universitaire internationale et y rencontre l’historien Albert Soboul avec qui il se lie. Il entame des études de mathématiques, de chimie générale et de physiologie à la Sorbonne. À la déclaration de guerre, il peut poursuivre ses études dans un premier temps, mais il est mobilisé au moment de la débâcle de juin 1940. Il n’a que le temps de rejoindre son régiment à Angoulême pour être fait prisonnier dans la cour de la caserne. Il s’évade relativement facilement et, dès l’été de 1940, il se trouve en zone libre à Montpellier où il s’inscrit à la faculté pour poursuivre sa licence en s’initiant à la biochimie. Il obtient son diplôme en 1941 mais, dès cette époque et pour satisfaire son attirance pour la recherche et son goût pour l’expérimentation, il obtient du professeur Mousseron de la faculté de pharmacie de pouvoir travailler dans son laboratoire et choisit d’y étudier le rapport entre la quantité de cuivre dans les cheveux et la synthèse de la mélanine. Ce sera l’objet de sa première publication.

En 1942, il se rend à Marseille pour travailler dans le laboratoire du biochimiste Jean Roche. C’est dans cette ville qu’il rencontre Louisette Valence avec qui il se liera pour la vie. Le 11 novembre 1942, les Allemands envahissent la zone sud et arrivent à Marseille. Se sentant de nouveau menacé, il part avec sa compagne à Nice qui est sous occupation italienne, et l’épouse fin 1942 sous son nom de Cohen. Mais, quand la jeune mariée veut faire établir des papiers à son nouveau nom, l’employé de mairie considère cette démarche comme imprudente et Georges Cohen obtiendra peu après de faux papiers au nom de Louis Valence. Après une tentative échouée de passage en Suisse, le couple séjourne quelques mois à Villard-de-Lans où se trouve Albert Soboul, puis retourne sous sa fausse identité à Paris. De ce fait, Marc, l’aîné de leurs enfants qui naît en janvier 1944, est déclaré par sa mère « né de père inconnu » et, pour faire bonne mesure, elle prend un avocat afin d’effectuer une recherche en paternité, alors que toute la famille vit sous le même toit.

En 1943, Louis Valence assiste à une conférence de Jean Roche à la Sorbonne. Celui-ci lui présente Michel Macheboeuf qui lui propose de venir à l’Institut Pasteur. Dès lors, Georges Cohen se consacre à plein temps à la recherche, en chimie organique d’abord, travaillant sur la synthèse du noyau indole, puis sur la transformation de l’adrénaline en adrénochrome qui fait l’objet de la thèse qu’il soutient en 1945. Mais, à la paillasse voisine, Marcel Raynaud travaille sur les bactéries anaérobies. Quand celui-ci est nommé à l’annexe que l’Institut Pasteur possède à Garches pour y diriger le laboratoire de chimie bactérienne, il propose à Georges Cohen de le suivre. Georges Cohen y restera de 1946 à 1954.

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C’est là que, en étudiant les produits de la fermentation du glucose, il commence à s’intéresser au métabolisme des acides aminés. Participant à un congrès à Bruxelles sur ce sujet en 1949, il est remarqué par le professeur Barker qui lui demande un article sur le métabolisme bactérien pour AnnualReview of Microbiology. En 1952, il organise un symposium sur le même sujet dans le cadre du Congrès international de biochimie de Paris, ce qui témoigne de sa notoriété dans le domaine. Il y invite des spécialistes reconnus du domaine, notamment Roger Stanier, Hans Krebs et Earl Stadtman.

Cependant, se sentant quelque peu isolé à Garches, il rend régulièrement visite à Jacques Monod à l’Institut Pasteur. Les liens entre les deux hommes sont étroits, dépassant les seuls liens de maître à élève. En effet, ils se sont rencontrés dans le bureau de Frédéric Joliot-Curie dès l’époque de la libération de Paris, lors d’une réunion de « scientifiques communistes ». Mais, comme d’autres scientifiques à cette époque, ils ont quitté le Parti communiste avant la fin des années 1940, à l’époque du lyssenkisme, du nom du biologiste soviétique qui prônait l’hérédité des caractères acquis.

L’influence de Jacques Monod marque profondément l’œuvre scientifique de Georges Cohen. C’est à son contact qu’il s’intéresse à la biosynthèse des acides aminés, ce qui le conduit à faire l’hypothèse de l’existence de protéines permettant l’entrée spécifique d’un métabolite dans la bactérie. En 1954, il rejoint son laboratoire et démontre l’accumulation dans certaines conditions de métabolites concentrés dans la bactérie à partir du milieu extracellulaire. C’est la découverte de la bêta-galactoside perméase, bientôt étendue à d’autres composés et notamment à certains acides aminés.

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Une autre contribution importante de Georges Cohen concerne l’incorporation d’analogues structuraux d’ amino-acides dans les protéines. Souvent, une souche bactérienne auxotrophe pour un acide aminé peut pousser en présence d’analogues non naturels de ce composé, mais la croissance est ralentie et linéaire comme dans le cas de la norleucine. Au contraire, la séléno-méthionine est facilement incorporée, sans aucun effet sur la courbe de croissance (1957). Par la suite, cette observation a eu des conséquences importantes en cristallographie des protéines. En effet, la cristallisation de protéines contenant du sélénium permet de résoudre le problème de la phase, et évite le recours à des remplacements isomorphes par des atomes lourds, souvent problématique dans les tentatives de cristallogenèse.

Toutefois, la contribution principale de Georges Cohen est sans doute l’étude de la régulation de la synthèse et de l’activité des enzymes, notamment de celles qui sont impliquées dans les voies de biosynthèse des acides aminés dérivés de l’acide aspartique. Ses travaux sont associés à l’émergence de deux notions fondamentales et distinctes de la régulation enzymatique : celle de répression de la synthèse d’une enzyme par le produit final d’une chaîne métabolique, qui s’exerce au niveau génétique, et celle de rétro-inhibition de l’activité enzymatique par ce même composé. Ce deuxième mécanisme opère notamment dans le cas de l’aspartokinase I-homosérine déshydrogénase I de E. coli régulée par la thréonine : la rétro-inhibition par la thréonine des activités de l’enzyme est due à un effet direct « allostérique » sur la protéine, lié à un changement de conformation de la protéine.

Nommé attaché de recherche au CNRS par Frédéric Joliot dès 1944, Georges Cohen est l’un des premiers chercheurs en biologie de cet organisme, au sein duquel il fera toute sa carrière. Alors qu’il vient d’accepter un poste aux National Institutes of Health (NIH) en 1959, sa nomination comme directeur de recherche pour fonder l’Institut d’enzymologie à Gif-sur-Yvette lui fait reconsidérer sa décision. Il restera neuf ans à l’Institut d’enzymologie, avant de regagner l’Institut Pasteur en 1969 pour occuper le laboratoire d’ André Lwoff, parti à la retraite, puis pour prendre la direction de l’unité de biochimie cellulaire jusqu’alors dirigée par Jacques Monod.

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Georges Cohen a été membre correspondant de l’Académie des sciences, un des membres fondateurs de l’EMBO (European Molecular Biology organization), membre de l’Académie d’Athènes, de l’American Academy of Arts and Sciences, de l’American Academy of Microbiology et de plusieurs sociétés savantes. Il a été successivement président du conseil scientifique de l’Institut Pasteur et membre de son conseil d’administration, ainsi que président de la Société française de biochimie et de la commission de biochimie du Comité national du CNRS.

Il est mort le 20 décembre 2018.

— Michel VÉRON

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Georges N. Cohen - crédits : Institut Pasteur

Georges N. Cohen

Autres références

  • MONOD JACQUES (1910-1976)

    • Écrit par et
    • 564 mots
    • 1 média

    Biochimiste français dont les travaux ont largement contribué à la naissance et au développement de la biologie moléculaire. Né à Paris, Jacques Monod, après des études secondaires à Cannes, regagne Paris en 1928, s'inscrit à la faculté des sciences, passe sa licence en 1931, puis entame, au Laboratoire...

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