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PEREC GEORGES (1936-1982)

S'il est souvent possible, chez tout écrivain digne de ce nom, de dégager des traits originaux, il existe une famille d'écrivains dont l'originalité est telle qu'on ne peut les rattacher à aucun auteur, vivant ou mort. C'est à cette famille, dont Franz Kafka et Raymond Roussel sont au xxe siècle des membres notoires, qu'appartient Georges Perec. Italo Calvino l'a décrit comme « une des personnalités littéraires les plus singulières au monde, au point de ne ressembler absolument à personne » et cette remarque s'applique à tous les aspects de son activité d'écrivain. Les auteurs que Perec admirait (et parmi eux Kafka et Roussel) ont laissé de nombreuses traces dans son œuvre, sous forme de références et parfois même d'emprunts, mais on aurait le plus grand mal à trouver des passages formellement « kafkaïens » ou « rousselliens ». On cherchera aussi en vain des éléments permettant de reconnaître en Perec le disciple de Leiris ou de Nabokov, de Melville ou de Lowry, ou même de Queneau, qui sont pourtant tous des auteurs qu'il vénérait. Si dans son premier roman, Les Choses, la présence de Flaubert est déterminante sur la forme et le style du livre, ce n'est une exception qu'en apparence, car il s'agit moins ici d'influence que d'une imitation délibérée dont les résultats sont utilisés à des fins tout à fait novatrices.

Une littérature-monde

Georges Perec - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Georges Perec

Les deux grands succès de Perec, Les Choses et La Vie mode d'emploi, lui ont valu la réputation de « peintre de la société actuelle », alors que son œuvre est finalement d'une intimité extraordinaire. À la suite de La Disparition et d'autres textes issus de son appartenance à l'Oulipo, on a surtout vu en lui le jongleur, le virtuose, image démentie par l'intensité et la candeur rares qui émanent de tous ses écrits, même les plus formellement complexes. Ces anomalies de lecture sont peut-être les conséquences inévitables de la singularité que Perec manifesta dans sa façon d'aborder l'écriture, attitude qu'on peut justement décrire comme non seulement originale, mais originelle : d'un bout à l'autre de sa carrière, plutôt que de faire siennes des traditions ou des formes disponibles, Perec a repensé et réinventé l'acte d'écrire lui-même. On peut voir à quel point son approche était radicale à travers le rôle fondamental joué (dans La Disparition, mais aussi dans des livres tels que W ou le Souvenir d’enfanceet La Vie mode d'emploi) par l'élément de base du langage, la lettre, qui devient pour Perec, par son maniement exceptionnel, le moyen d'exprimer (outil formel plus que symbole) le vide, l'absence, la mort qui sont au centre de son entreprise littéraire.

Perec était l'enfant d'un des grands déchirements de notre histoire (« L'Histoire avec sa grande hache »), la tentative de génocide et de terreur qui aboutit aux camps de concentration et d’extermination des années 1940. Ce déchirement eut pour lui des conséquences intimes, blessures dont Perec tira son originalité : sans famille, sans collectivité où s'insérer, il a fait de la littérature le monde où il allait trouver, où il allait recréer, un foyer et même un pays. D'un livre lu et relu pendant son adolescence, il écrit : « Il m'a presque servi d'histoire, source d'une mémoire inépuisable, d'un ressassement, d'une certitude. » Et il dira, en parlant de ses parents : « ...j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie. » Et ailleurs : « Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose... »

On se tromperait en voulant[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de littérature française, université Lyon-II
  • : visiting lecturer, Columbia University, New York, membre de l'Ouvroir de littérature potentielle

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Georges Perec - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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