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GEORGES PEREC (C. Burgelin) Fiche de lecture

La biographie de Georges Perec par Claude Burgelin (Gallimard, 2023) est d’abord le livre d’un ami. Tous deux se sont rencontrés en 1959. Perec, drôle et malicieux, avait gardé son esprit d’enfance. Il lisait de manière éclectique, d’Alexandre Dumas à Thomas Mann en passant par Gustave Flaubert. Il écrivait déjà, rêvait de s’illustrer dans tous les genres et tous les formats. Constatons qu’il a été fidèle à son ambition : aux mots d’ « œuvre » et d’ « écrivain », il a préféré ceux de « travail » et d’ « artisan ». Le livre de Burgelin montre comment il a construit ce que nous lisons désormais plus attentivement.

Une écriture du secret

Longtemps, en effet, on a lu Perec sans mesurer les véritables enjeux de son travail. Ainsi, Les Choses (1965) passait pour un roman de sociologue, La Disparition (1969) était une performance, et W ou Le Souvenir denfance(1975), une combinaison peu compréhensible d’autobiographie et de dystopie. Burgelin relit précisément l’œuvre à partir d’une phrase placée au début de W ou Le Souvenir denfance : « Je fus comme un enfant qui joue à cache-cache et qui ne sait pas ce qu’il craint ou désire le plus : rester caché, être découvert ». Le jeu suppose ici de respecter des règles et, souvent, de les transgresser. Il masque à peine « l’inguérissable blessure » d’une disparition : celle de la mère, déportée à Auschwitz en 1943. Cette blessure, Perec la convertira en « verve insolente et en drôlerie époustouflante », notamment dans certains jeux oulipiens ou dans les dialogues de Série noire, d’Alain Corneau (1979).

L’absence et le manque sont d’abord moteurs de création. Perec a perdu la langue d’enfance, ce yiddish que l’on parlait à Belleville, rue Vilin. Cette perte complète du passé le laisse longtemps désorienté ; la psychanalyse évoquée dans « Les lieux d’une ruse » (1977) va lui offrir une issue. L’écriture, la relation qu’il entretient avec les lettres de l’alphabet doit beaucoup à cette douleur. Le « e » manquant de La Disparition, ce sont « eux », les disparus. Raymond Roussel, Michel Leiris ou Raymond Queneau enrichissent sa recherche, au-delà des acrobaties verbales.

Perec est aussi un écrivain des lieux. L’immeuble de La Vie mode demploi (1978) ou l’île de W ou Le Souvenir denfance, très inspirée par LÎle mystérieusede Jules Verne, sont des lieux d’expérimentation autant que du souvenir. Espèces despaces (1974) traduit cette constante recherche, de la page à la rue en passant par la chambre. Dans Un Homme qui dort (1967), un personnage désigné par une deuxième personne du singulier – miroir du narrateur désespéré qu’il est alors – se met en retrait du monde et dérive dans Paris à la façon des situationnistes. Chez Perec, les parcours dans la ville font contrepoint au nécessaire enfermement dans un lieu clos comme son bureau. « L’errance est mon propos essentiel », écrit-il : l’enfermement l’est tout autant. La contradiction est un moteur.

Le projet inachevé de Lieux(2022), ouvrage ambitieux que Perec abandonne pour se consacrer à W ou le souvenir denfance, illustre ses préoccupations. Le livre met en relief l’idée clé de l’auteur, énoncée dans Espèces despaces : « Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes. » Perec choisit douze lieux en lien étroit avec sa vie personnelle. Le projet, bâti sur une grille mathématique, doit s’étaler sur douze ans, entre 1969 et 1980, et faire l’objet d’une double évocation, l’écrivain allant sur place pour le décrire de façon objective et le relatant à travers ses souvenirs. Parmi ces endroits, la rue Vilin ou le Rond-Point des Champs-Élysées,[...]

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