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PEREC GEORGES (1936-1982)

Les premiers romans

Avec la publication des Choses, Perec a fait une entrée éclatante sur la scène littéraire, et le premier succès de ce livre s'est perpétué : réédité plusieurs fois, traduit en de nombreuses langues, ce roman figure désormais dans les manuels scolaires. Ces marques d'honneur reposent en partie sur un malentendu. Jérôme et Sylvie, un jeune couple parisien, vivent après leurs études de façon précaire dans un monde obsédé par le bien-être matériel, ou, plus exactement, ce sont eux qui se laissent obséder par les objets d'élégance et de luxe que ce monde leur propose. Ils rêvent de les acquérir, sans jamais vouloir se soumettre au long asservissement de l'avancement professionnel. Ils se retrouvent finalement dans une impasse, dont ils tentent de sortir en quittant la France pour la Tunisie, où ils espèrent commencer une vie nouvelle, mais où ils ne feront que dépérir.

On a souvent pris Les Choses pour une étude sociologique, presque pour un tract dénonçant la société de consommation dont l'avènement date du début des années 1960 : c'est même à cette réputation que le livre dut une bonne partie de sa renommée. Il a aussi, dès sa parution, impressionné par sa structure et par son style. L'utilisation des temps, par exemple, y est remarquable. Le premier chapitre, description d'une demeure urbaine « de rêve », est entièrement écrit au conditionnel ; le dernier, épilogue où l'on imagine un éventuel retour à Paris de Jérôme et Sylvie, est au futur ; entre ces deux temps « irréels », le récit principal se déroule au passé défini et à l'imparfait, suite de phrases d'une inexorabilité flaubertienne si définitive qu'elles semblent exclure toute possibilité de doute ou de mouvement. Cette structure grammaticale répond à la situation dans laquelle se trouvent Jérôme et Sylvie, et elle transforme un récit à l'aspect neutre et mesuré en une histoire personnelle et touchante. Perec dit de ses personnages : « Rien de ce qui était humain ne leur fut étranger. » Jérôme et Sylvie incarnent le dilemme bien humain (dont la société de consommation n'est que le contexte) entre le désir et le refus devant un monde qui leur est imposé.

Dans Les Choses, on distingue déjà des traits de style qui deviendront caractéristiques de Perec, notamment un penchant presque obsessionnel pour l'accumulation. Dans le livre suivant, Quel petit vélo..., compte-rendu joyeux des efforts d'une bande de Parisiens plus ou moins bohèmes pour empêcher le départ d'un jeune soldat en Algérie, Perec met en œuvre deux techniques nouvelles : l'épuisement systématique, en langage parlé, d'une somme de formes rhétoriques (inspiré par un cours de Roland Barthes et peut-être aussi par le chapitre du journal dans l’Ulysse de James Joyce) et la répétition de mots ou même de phrases formant, à travers tout le livre, une trame enjouée. Malgré son charme, Quel petit vélo... reste une œuvre mineure.

Pourtant, la technique de répétition que Perec y a développée va lui servir à merveille dans le grand livre qui suit : Un homme qui dort. Le sujet en est l'histoire, ou plutôt l'absence d'histoire, d'un étudiant qui renonce non seulement à ses études mais à la vie même. Il abandonne famille et amis pour remplir ses journées d'actes neutres, déambulant dans les rues, allant au cinéma sans choisir ses films, relisant de vieux journaux, alignant d'innombrables patiences. Décidé à se soustraire aux tyrannies du temps et de l'espace, il finit par renoncer au fait même d'être né dans ce monde, en faisant comme si ces choses n'avaient pas d'importance. Cette tentative du héros pour créer le vide autour de lui, Perec la fait ressentir au lecteur à travers les descriptions méticuleuses des états entre veille et sommeil de son unique personnage (états où la volonté de celui-ci[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de littérature française, université Lyon-II
  • : visiting lecturer, Columbia University, New York, membre de l'Ouvroir de littérature potentielle

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Georges Perec - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Georges Perec

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