PEREC GEORGES (1936-1982)
Perec après Perec
Le destin posthume de Georges Perec offre à bien des égards une histoire hors du commun. À sa mort, il laisse derrière lui un chantier fait d’une somme considérable d’écrits épars, de textes inachevés, de projets en cours. Le premier travail de son ayant-droit, Ela Bienenfeld, sa cousine, et de son ex-femme, Paulette Perec, bibliothécaire, a été de classer ce monceau d’archives. À partir de ce que donnait à voir cet ensemble hétéroclite, peu à peu mis à jour et édité, s’est reconfiguré et approfondi l’apport de l’écrivain.
En premier lieu, il y avait à éditer le roman que Perec avait projeté de rédiger en cinquante-trois jours, un de plus que Stendhal en aurait mis pour mener à bien LaChartreuse de Parme. Sur les vingt-huit chapitres prévus, Perec en avait écrit onze et constitué un dossier assez élaboré, laissant voir comment il envisageait la suite. Publié en 1989, le pseudo roman policier qu’était « 53 jours » reçut un médiocre accueil tant son intrigue était emberlificotée.
À partir de 1985 paraissent avec régularité une suite de petits volumes pensés et publiés par l’éditeur Maurice Olender en collaboration avec Ela Bienenfeld. Ces textes sont devenus souvent des œuvres essentielles de Perec, alors qu’il n’en a pas architecturé la composition. Le premier, Penser/classer, est publié en 1985 par Hachette, les suivants au Seuil, dans la collection « La Librairie du xxe siècle », devenue par la suite « La Librairie du xxie siècle ». Vont ainsi se succéder L’Infra-ordinaire(1989), Vœux (1989), Je suis né (1990), Cantatrixsopranica L. et autres écrits scientifiques (1991), L. G. Une aventure des années soixante (1992), Le Voyage d’hiver (1993), Beaux Présents, Belles Absentes (1994).
Plusieurs de ces livres constituent des rassemblements de textes variés, souvent disséminés ou enfouis dans des revues de peu d’audience. Perec les aurait peut-être réunis à partir d’autres choix. Tels quels, ils donnent une image fidèle des diverses facettes de son talent et de ses préoccupations. Par le truchement de ces petits volumes, son lectorat, qui s’étoffe d’année en année, reçoit, à intervalle presque régulier, comme des nouvelles de lui : des informations présentées de façon élégante et aérée.
À ces recueils s’ajoutent des inédits. Deux romans de jeunesse qui, à l’époque, avaient été refusés par les éditeurs, l’un encore assez maladroit, rédigé en 1957, L’Attentat de Sarajevo (2016), l’autre bien plus maîtrisé, lentement élaboré entre 1957 et 1960, changeant plusieurs fois de titre et d’intrigue pour finalement s’intituler Le Condottière. Publié en 2012, ce livre offre une vision très lucide du jeune Perec sur ses ambitions et ses aptitudes : le héros en est un habile faussaire qui rate lamentablement le tableau qu’on lui a commandé, un « Condottière » qui soit le pendant de celui d’Antonello de Messine. En découle une réflexion aiguë sur l’identité absente et mensongère d’un faussaire (une façon de donner sens à sa propre histoire) et sur l’incapacité de Perec à réussir l’incarnation d’un personnage : le romancier à venir impulsera rythme et vie aux structures et dispositifs narratifs plus qu’à des êtres auxquels il donnerait chair, corps, élans.
En 1969, Perec part d’une idée jugée « assez exaltante » pour mener une expérience littéraire qui consiste en un jeu avec le temps : choisir douze lieux de Paris qui lui importent, en décrire un chaque mois douze ans durant, rédiger à un autre moment de l’année les souvenirs qui le rattachent à ce lieu, et enfin mettre les 288 textes ainsi obtenus sous enveloppes cachetées. L’écrivain ralentit, puis abandonne en 1975, las de décrire des lieux qui ne changent guère et de revenir sur des souvenirs dont le stock s’épuise. Il n’est resté de cette entreprise que 133 textes. Dans la série des descriptions,[...]
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Écrit par
- Claude BURGELIN : professeur émérite de littérature française, université Lyon-II
- Harry MATHEWS
:
visiting lecturer , Columbia University, New York, membre de l'Ouvroir de littérature potentielle
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