SEURAT GEORGES (1859-1891)
« Seurat est un grand peintre inconnu », écrivait Lucie Cousturier en 1921 dans une des premières biographies consacrées au peintre d'Un dimanche à la Grande Jatte. 1884(The Art Institute, Chicago). Malgré une place très vite établie dans l'histoire de l'art moderne, notamment au moment du cubisme, la gloire des « bons vieux impressionnistes » comme il disait (Cézanne, Renoir, Monet) ne s'est jamais vraiment décidée à faire de lui un grand peintre populaire. Il rencontra Vincent Van Gogh en février 1887, et ce dialogue étonnant semble démontrer à quel point son art porte en lui-même un élément irréductible à toute identification psychologique, à quel point il est intimidant, lumineux et obscur à la fois, à l'image exacte des dessins exécutés au crayon Conté. L'enquête des historiens parcourt des circuits qui peuvent être recomposés par des documents ou des sources indiqués par l'artiste lui-même, mais la dimension intellectuelle du tableau ne s'y laisse jamais réduire. La « technique » de Seurat fut une sorte de malentendu contrôlé, et son œuvre définit entre l'individu, la société, l'« art » un ensemble de valeurs dont on commence à mieux sonder le caractère de profonde nouveauté. Sa vie, brève, laisse constater de rapides mutations esthétiques, mais cette évolution est en même temps soumise à des contradictions réitérées. On mesure les rythmes d'une métropole contemporaine, confrontés au silence des paysages de mer ; on suit un échange énigmatique entre le monumental et sa réduction lumineuse (La Tour Eiffel, Fine Arts Museum, San Francisco), entre le détail insignifiant et une présence quasi surnaturelle, entre le tableau et ses référents : l'art classique, l'affiche, les études préparatoires. L'ordre et la frénésie établissent une mystérieuse division nerveuse qui libère une forme de puissance anarchique dans les lois de la composition. Depuis Petit Homme au parapet (vers 1881) ou Le Faucheur (vers 1882, Metropolitan Museum, New York), la science de Seurat s'applique à développer le germe d'une œuvre interrompue par la mort et pourtant totalement réalisée.
Vers une « formule optique »
La vie de Seurat est un mélange de conventions, d'effacement dans la norme et de secret. Il meurt à trente et un ans, le 29 mars 1891, d'une maladie foudroyante qui révèle à ses amis et à ses proches son union avec le modèle de Jeune Femme se poudrant (Courtault Institute, Londres). « Grave, calme et doux, taciturne », selon Henri de Régnier, on l'a décrit aussi très compliqué (Signac), obstiné, pensif, farouche, austère. Lucie Cousturier eut l'intuition d'une urgence inquiète et sourde en évoquant « un regard brûlant et une voix psychologique, étranglée par l'impatience ». Avec son « je-m'en-foutisme » bien connu, Degas a parlé du « notaire », mais Gustave Kahn a vu le même individu « plus pittoresquement coiffé d'un caloquet de feutre et d'un costume plus bigarré ». L'esprit d'ordre et de méthode, l'esprit de conquête et d'aventure brûlent, en vérité, l'énergie d'un homme qui peint jour et nuit et qui meurt aussi de fatigue morale et d'épuisement.
Né le 2 décembre 1859 à Paris dans une famille bourgeoise aisée, installée 110, boulevard Magenta, Georges-Pierre Seurat, après avoir suivi des cours de dessin dans une école municipale, est admis en février 1878 à l'École des beaux-arts. Dans l'atelier d'Henri Lehmann, ancien élève d'Ingres, il suit sans éclat et avec assiduité le cursus académique ; en mai 1879, frappé par la quatrième exposition impressionniste, il loue avec ses amis Ernest Laurent et Edmond Aman-Jean un studio rue de l'Arbalète, puis, ayant fait une année de volontariat militaire à Brest de novembre[...]
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Écrit par
- Éric DARRAGON : professeur émérite d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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Médias
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