SEURAT GEORGES (1859-1891)
Divisionnisme et anarchie
À Honfleur, du 21 juin à la mi-août 1886, Seurat entreprend sept tableaux, parmi lesquels Coin d'un bassin (Kröller-Müller Museum, Otterlo) exposé aux Indépendants dès son retour à Paris. Achevée au cours de l'automne et pendant l'hiver, la série se caractérise par une conception plus organique des points de vue : un format plus réduit évoque le port et ses quais (Entrée du port, Bout de la jetée, La Maria), un autre les abords et la baie de Seine (Le Phare d'Honfleur, La Grève du Bas-Butin, Embouchure de la Seine). Dès la fin de 1886, Seurat commence Les Poseuses (Barnes Foundation, Merion), tableau qui ne sera pas achevé avant l'Exposition des indépendants de 1888 (22 mars-3 mai) et qui porte le divisionnisme dans le domaine classique par excellence, celui du nu. Mais la nudité du modèle s'inscrit dans les données complexes du travail en atelier et engendre un dialogue étonnant avec la perspective « chromo-luminariste » de la Grande Jatte. Fénéon notera l'incidence des travaux de Charles Henry sur l'ancien élève de Lehmann et l'admirateur de Puvis : « Par une fantaisie pseudo-scientifique, l'ombrelle rouge, l'ombrelle paille et le bas vert s'orientent selon la direction qu'ont le rouge, le jaune et le vert sur le cercle chromatique d'Henry. » Ce dernier, en effet, avait développé dès 1884 certaines idées d'Humbert de Superville et de Charles Blanc en liant l'expression des émotions aux directions du mouvement. Déjà, Seurat avait relevé dans Les Phénomènes de la vision de David Sutter (articles parus dans L'Art en février-mars 1880) tout un ensemble de préceptes et d'observations, mais le Cercle chromatique d'Henry (1888) intégrait de façon simple l'essentiel de ces données concernant la ligne, la teinte et le ton. Parade de cirque (Metropolitan Museum, New York), exposé également en 1888 et qui évoque le fameux cirque Corvi, marque avec éclat l'intérêt du peintre pour les spectacles de la vie urbaine nocturne.
Six paysages, exposés aux XX à Bruxelles en février 1889, résultent du séjour d'été en 1888 à Port-en-Bessin. Deux paysages sont peints au Crotoy dans l'été de 1889 et exposés aux Indépendants en septembre-octobre 1889. Ces séries traduisent la nature profonde des deux sites, et la recherche lumineuse et formelle vise à inscrire l'expérience émotionnelle de l'espace dans des rythmes associant l'artifice à l'illusion, le fini et l'infini, le calcul et l'informe comme on pourrait le constater dans les ciels ou les bordures : Le Crotoy, amont (Institute of Arts, Detroit), Le Crotoy, aval (collection Niarchos). Exposés ensemble aux Indépendants de mars-avril 1890, Jeune Femme se poudrant et Chahut (Kröller-Müller, Otterlo) juxtaposent deux réalités secrètement complices : le spectacle d'une danse osée sur une scène de café-concert et le portrait de Madeleine Knobloch qui vient d'avoir un fils reconnu par Seurat et prénommé Pierre-Georges. À l'image du pot de fleurs dans le miroir qui, sur la remarque d'un ami, est venu censurer son autoportrait, le peintre cache désormais sa vie et s'isole dans l'atelier du passage de l'Élysée-des-Beaux-Arts, où il peint Cirque, ultime tableau consacré au monde tout proche des plaisirs populaires, à peine achevé pour les Indépendants de mars 1891. Seurat renouvelle son approche méthodique de l'espace, de la ligne, de la couleur en intégrant le mouvement circulaire, grâce au numéro de l'écuyère du cirque Fernando. Dans le même temps, quatre paysages du chenal de Gravelines semblent porter le contraste et la division à leur intensité maximale.
La disparition subite du peintre ne fait que rendre plus évident un abîme que son art n'a jamais cessé d'explorer et d'ouvrir : celui[...]
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Écrit par
- Éric DARRAGON : professeur émérite d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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Médias
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