SIMENON GEORGES (1903-1989)
Georges Simenon est l'auteur d'une de ces œuvres qui sont à elles seules tout un univers. Marcel Aymé n'a-t-il pas dit de lui qu'il était “un Balzac, sans les longueurs” ? En effet, comme le souligne Alain Bertrand, “Simenon exprime peu pour sous-entendre beaucoup : nivelée jusqu'à l'indigence, sa prose gagne en suggestion ce qu'elle perd en expression”. Le romancier, qui s'est toujours senti plus proche des peintres et des sculpteurs que des écrivains, a lui-même déclaré qu'“il faisait de l'impressionnisme en roman” et Robert Kemp surenchérit en notant que “quand Simenon décrit, peint un paysage, il a la sûreté d'un peintre japonais”. On pourrait ajouter de même qu'en disséquant ses personnages, il confine à la maîtrise zen par la concision de son style.
Paradoxalement, cette économie de moyens, mise au service de la recherche et de la compréhension de ses contemporains, aboutit à une étonnante richesse d'introspection. C'est que Simenon possède, selon les mots de Max Jacob, “une manière unique de voir l'être dans la fourmilière humaine”. En prenant en quelque sorte “ses lecteurs pour personnages” (Roger Nimier), “en parlant de l'homme de la rue à l'homme de la rue”, et “en mettant à nu leurs communes angoisses et contradictions refoulées, en conférant un caractère universel à ce qu'il croit être une honte singulière, Simenon le déculpabilise [...]. En ce sens, Thomas Narcejac a bien raison de voir en lui moins un maître à penser qu'un maître à vivre” (Pierre Assouline).
L'apprentissage sur le terrain
Accompagner Simenon au fil des livres et des saisons fournirait assurément la matière d'un gros ouvrage. On se contentera ici d'un bref survol biographique.
Vendredi 13 février 1903 : naissance à Liège de Georges Joseph Christian Simenon, fils d'un comptable d'assurances et d'une vendeuse en mercerie, au confluent de plusieurs cultures, romanes et germaniques, et de statuts sociaux fort divers. Parler d'artisans wallons heureux et de négociants flamands tourmentés serait un raccourci, car viennent s'y greffer des origines hollandaises et allemandes. Dans ce milieu, le petit Georges montre déjà son goût pour l'écrit. Désireux cependant, tout comme le jeune Descartes, de lire au plus tôt “le grand livre du monde” et non plus seulement d'absorber la culture livresque distillée par l'école, il trouve dans la grave maladie qui frappe son père le prétexte pour abandonner ses études secondaires alors que la guerre s'achève. Il se retrouve d'abord apprenti pâtissier, puis commis de librairie, emploi d'où il est promptement congédié parce que, devant une cliente, il ose montrer qu'il en savait plus long que son patron sur l'œuvre d'Alexandre Dumas ! C'est alors que s'effectue son entrée en écriture, par la porte modeste du journalisme : embauché à la Gazette de Liége, il y débute par la rubrique des “chiens écrasés” (excellente école pour un futur romancier !), puis va y écrire près de 800 billets quotidiens et plus de 150 articles.
Décembre 1922 : le jeune Sim part à la conquête de Paris. (Il retournera en Belgique trois mois plus tard pour y épouser, entre deux trains, et enlever “Tigy”, sa petite fiancée liégeoise, à qui il avait écrit tant de lettres d'amour enflammées.) D'abord garçon de courses pour une ligue d'anciens combattants, puis secrétaire particulier d'un marquis, il va écrire, sous plus de vingt pseudonymes et pour une demi-douzaine d'éditeurs et quelques journaux (dont Le Matin, où Colette est directrice littéraire), force contes, nouvelles et romans. Les chiffres ici montrent bien, déjà, sa stupéfiante facilité d'écriture : en une dizaine d'années de travaux réalisés sous[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre DELIGNY : ancien chef correcteur adjoint de l'Encyclopædia Universalis, correspondant du Centre d'études Simenon de l'université de Liège, Belgique
- Michel LEMOINE
: agrégé de lettres, directeur de publication de la revue
Traces (Travaux du centre d'études Georges-Simenon de l'université de Liège)
Classification
Média
Autres références
-
MONSIEUR GALLET, DÉCÉDÉ, G. Simenon - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 191 mots
Monsieur Gallet, décédé paraît en 1931, année qui marque une étape décisive dans la vie de Georges Simenon (1903-1989). Celui-ci publie enfin sous son véritable nom, après neuf années passées dans l'ombre à apprendre le métier d'écrivain. De 1922 à 1924, il a fourni aux journaux d'innombrables...
-
LE VOYAGEUR DE LA TOUSSAINT, Georges Simenon - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 942 mots
- 1 média
Écrit et publié chez Gallimard en 1941, Le Voyageur de la Toussaint prend place dans une série d'œuvres majeures de Georges Simenon, popularisées pour la plupart par le cinéma : Les Inconnus dans la maison (1940), La Veuve Couderc (1942), La Vérité sur Bébé Donge (1942) ou encore ...
-
LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE
- Écrit par Dominique RABATÉ
- 7 278 mots
- 13 médias
L’œuvre pléthorique deGeorges Simenon (1903-1989) incarne ce goût nouveau et lui donne avec le commissaire Maigret, enquêteur peu conventionnel qui se laisse imprégner de l’atmosphère des lieux du crime qu’il doit résoudre, une des figures les plus populaires au cinéma et à la télévision. Simenon... -
MAIGRET (P. Leconte)
- Écrit par Christian VIVIANI
- 1 146 mots
« C’est lui ! C’est lui ! », se serait exclamé Georges Simenon devant Michel Simon interprétant le rôle du commissaire Maigret dans un court fragment de Brelan d’as (Henri Verneuil, 1952). Ce n’était pas la première fois que l’écrivain réagissait aux incarnations cinématographiques...
-
POLICIER ROMAN
- Écrit par Claude MESPLÈDE et Jean TULARD
- 16 394 mots
- 14 médias
...demeure, bien sûr, le commissaire Maigret, policier de la P.J., le pas pesant, la pipe à la bouche, nourri de sandwiches et de bière, tel que l'a imaginé Simenon, et qui fait ses débuts dans Pietr le Letton, en 1931, un an après la mort de Conan Doyle. Point de raisonnement, de déduction savante chez Maigret,... -
ROMAN - Essai de typologie
- Écrit par Jean CABRIÈS
- 5 909 mots
- 5 médias
Tel est du moins le statut du roman policier jusqu'aux années 1930, car l'apparition de Georges Simenon va en inverser les données : le policier intelligent n'est plus le détective privé, mais un commissaire divisionnaire qui résume toutes les qualités de la moyenne bourgeoisie : lucidité mais bonté,...