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SIMENON GEORGES (1903-1989)

La recherche de l'homme nu

“Descendre, spirale après spirale, l'escalier de l'être” : cette phrase empruntée à Bachelard figure en tête du manuscrit des Anneaux de Bicêtre ; les documents conservés au Fonds Simenon de l'université de Liège dévoilent que le romancier a fait disparaître cette épigraphe dès le stade de la version dactylographiée. Excès de modestie ? Besoin d'éviter tout ornement “littéraire” selon les conseils que lui prodigua jadis Colette ? Il semble en tout cas que cette citation, qui confère au titre du roman son sens second, éclaire aussi à merveille le propos de celui qui, tout au long des romans publiés sous son propre patronyme, n'a cessé de poursuivre inlassablement une quête de l'homme dans ce qu'il a de plus profond. À ce titre, Simenon aurait pu reprendre à son compte cette réflexion qu'il prête dans Maigret voyage au plus célèbre de ses personnages : “Toute sa vie, il s'était efforcé d'oublier les différences de surface qui existent entre les hommes, de gratter le vernis pour découvrir, sous les apparences diverses, l'homme tout nu.” Il s'agit là en effet d'une constante de l'œuvre, qui doit être perçue avant tout comme une recherche de la condition humaine. Même lorsque nous lisons ses romans policiers – où Simenon n'a pas hésité à infléchir les lois du genre en fonction de cette recherche –, nous nous posons finalement moins la question de savoir qui a tué que de comprendre quel homme est l'assassin, quel homme était la victime. Les Dictées elles-mêmes, tant décriées par certains, n'ont pas d'autre but : il s'agit là aussi d'un “document humain” (Maurice Piron) où un homme entend montrer directement ce qu'il est, sans l'intermédiaire cette fois de la fiction romanesque.

Ce n'est dès lors pas un hasard si la notion de destin occupe une place prépondérante dans les romans de Simenon, tout comme elle est au centre de La Condition humaine de Malraux. Contrairement aux fictions de ce dernier, qui les introduit dans le cadre de conflits ayant marqué le xxe siècle, celles de Simenon ne comportent pas – ou comportent très peu – de références à l'histoire, au point que l'on a pu parler de leur “anhistoricité” (Jean Fabre). Néanmoins, si son œuvre romanesque ne reflète pas l'histoire de son époque, si elle n'est engagée ni politiquement ni socialement (bien que nous puissions souvent lire entre les lignes où vont les sympathies de l'auteur), elle a le mérite de caractériser les malaises de l'homme contemporain, à l'égal par exemple des œuvres de Green, ou de Sartre et de Camus à leurs débuts. Support philosophique en moins, le corpus simenonien peut en effet être envisagé sous un éclairage existentiel. Pour n'en citer que deux, des héros comme M. Hire ou le Louis Bert de Cour d'assises, conçus en 1932 et en 1937, sont bien des frères aînés de Roquentin et de Meursault : quel protagoniste simenonien n'est pas une variation sur le thème de “l'étranger” ?

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Écrit par

  • : ancien chef correcteur adjoint de l'Encyclopædia Universalis, correspondant du Centre d'études Simenon de l'université de Liège, Belgique
  • : agrégé de lettres, directeur de publication de la revue Traces (Travaux du centre d'études Georges-Simenon de l'université de Liège)

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Georges Simenon - crédits : Keystone Features/ Getty Images

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