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WAKHEVITCH GEORGES (1907-1984)

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Par le nombre et la variété de leurs réalisations, peu de décorateurs auront occupé une place aussi considérable que Georges Wakhevitch dans le monde du spectacle depuis le début des années 1930 jusqu'à sa disparition brutale, le 11 février 1984 : on lui doit les décors d'environ 140 films, 200 opéras, 300 pièces de théâtre.

Né en 1907 à Odessa, émigré en France en 1921, Wakhevitch a abordé le monde de l'art dans la meilleure tradition de la bohème : groupe théâtral du lycée Buffon (avec Arthur Adamov notamment), abandon des études, apprentissage dans les rues et les ateliers de Montparnasse.

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Ses vrais débuts se font à l'échelon le plus bas : il est apprenti sculpteur dans l'atelier de staff des studios de la Victorine à Nice. C'est l'occasion d'apprendre le métier en regardant travailler les maîtres du moment (Grémillon et Raymond Bernard pour la mise en scène, Jean Perrier, Jean Lafitte, Lazare Meerson pour les décors et les costumes). Son premier travail personnel important consiste à reconstituer une casbah grandeur nature pour le Baroud de Rex Ingram (1931). Rapidement expert à résoudre tous les problèmes techniques dans les conditions les plus difficiles, Wakhevitch devient, selon ses propres termes, « un bagnard du divertissement » dans les studios d'Épinay et de Billancourt, peignant des toiles de fond, construisant des décors « de raccord ». Mais ce « bagne » est aussi l'occasion de travailler avec Renoir, pour Madame Bovary (1933), La Marseillaise et La Grande Illusion (1937). Et il devient peu à peu l'un des spécialistes du grand décor construit en plein air, dont les exemples les plus connus restent le château des Visiteurs du soir de Marcel Carné (1942), les quatre mille mètres carrés du Paris de La Vie de bohème de Marcel L'Herbier (1943), plus tard le gigantesque temple en fibrociment du Roi des rois de Nicholas Ray (1961).

Cette activité intense dans les studios se ralentit progressivement après la guerre mais elle donne encore lieu à d'importantes réalisations commerciales (Duvivier, Boisrond, Oury) d'où se détachent surtout Les Fêtes galantes de René Clair (1965), ultime aboutissement, pour la mise en scène et le décor, de l'esthétique du cinéma d'avant-guerre. L'amitié de Peter Brook lui donnera un prolongement un peu inattendu, avec un grand Roi Lear achevé en 1971 et en dernier lieu La Tragédie de Carmen, adaptée du spectacle des Bouffes du Nord (1983).

Peu après ses débuts au cinéma, Wakhevitch avait rencontré Louis Ducreux et André Roussin : occasion d'un retour au théâtre à partir de 1935, à Marseille, Lyon et finalement au Vieux-Colombier en 1942. Cette partie de son activité trouve sa consécration en 1949 avec l'entrée à la Comédie-Française où le Donogoo-Tonka de Jules Romains, avec ses 23 tableaux à transformation, constitue sans doute la réalisation la plus complète et la mieux adaptée à son objet (1951). Wakhevitch est dès lors le décorateur quasi obligé des auteurs « reconnus » (de Claudel et Montherlant à Marcel Achard, Félicien Marceau ou Françoise Dorin) et des scènes parisiennes à succès (Marigny, les Ambassadeurs, la Madeleine, les Variétés).

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En 1948, enfin, s'ouvre le dernier volet de sa carrière : l'opéra, avec le Boris commandé par Peter Brook pour Covent Garden. Là encore, Wakhevitch conquiert rapidement les grandes scènes (Paris, Londres, Vienne, Milan, Berlin), la date la plus marquante étant sans doute la création des Dialogues des Carmélites de Poulenc à la Scala de Milan en 1957. Le lyrique finira par l'emporter à partir des années 1960, quand commence une collaboration étroite dans le cadre du festival de Salzbourg avec Karajan, pour Wagner (Tétralogie montée pour le festival de Pâques de 1968 à 1970) et les grands Verdi (festival d'été, depuis 1961). Cette activité se prolonge avec les films-opéras à grand spectacle réalisés avec Karajan pour la compagnie de télévision allemande Unitel à partir de 1968.

De cette production surabondante et d'une qualité forcément très inégale il n'est pas facile de dégager l'unité. Wakhevitch apparaît d'abord comme un praticien hors pair, jamais à court d'invention. Ce n'est pas dire qu'il échappe à la marque d'un style et d'une esthétique. Wakhevitch est toujours resté avant tout un peintre, pour qui le décor est un « refuge de la beauté », ou selon ses propres termes encore « de la peinture en trois dimensions pour remplir l'espace ». Cette conception, qui veut se rattacher à la tradition du grand théâtre classique, était largement battue en brèche par l'avant-garde des années 1920, les constructivistes russes puis les Allemands en particulier. Jean Vilar au théâtre, le « Nouveau Bayreuth » de Wieland Wagner pour l'opéra ont fait peu à peu triompher après-guerre une conception totalement différente, où l'espace, par le jeu des lumières notamment, s'est substitué au décor-tableau.

S'il fallait dégager une certaine constance dans les œuvres les plus marquantes, ce serait sans doute celle du fameux «  réalisme poétique » français, teinté du surréalisme adouci que l'on retrouve chez un Lurçat, un Lucien Coutaud, un Carzou. Les ciels chargés, les éclairages irréalistes et dramatiques, les perspectives accentuées, les cadrages insolites, les couleurs soutenues tirent cette sage étrangeté du côté d'un néo-romantisme flamboyant et décoratif. Cette œuvre d'un technicien sans rival et d'un artisan de talent trouve peut-être son meilleur moment dans la France incertaine des années 1940, au moment de la collaboration avec Cocteau en particulier, pour l'Éternel retour (Delannoy, 1943), L'Aigle à deux têtes et Ruy Blas (Pierre Billon, 1947), Le Jeune Homme et la mort (Roland Petit, 1946).

— Jean-Paul BOUILLON

Bibliographie

G. Wakhevitch, L'Envers des décors, Robert Laffont, Paris, 1977

L'Univers magique de Wakhevitch, catal.-expos. château de Gaillon, 16 juin-16 sept. 1984.

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art moderne et contemporain à l'université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand

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