GENETTE GÉRARD (1930-2018)
Champs et phénomènes méconnus de l'espace littéraire
Avec Mimologiques(1976), Genette introduit un premier grand tournant dans son travail critique : sans abandonner la poétique, il se confronte aux « jeux », aux territoires inconnus et aux aspects transcendants de l'espace littéraire. Ainsi, dans Mimologiques – sous-titré « Voyage en Cratylie » – Genette reprend l'interrogation platonicienne sur le statut ontologique du langage, explorant, à sa manière, la délicate liaison des mots et des choses. Les mots peuvent-ils être considérés comme l'image des choses ? Si le mot « chien » ne mord pas, et si le mot « rose » n'a ni odeur ni couleur, il reste que d'autres mots – le mot « effroi » par exemple – peuvent évoquer ou même provoquer les sentiments qu'ils désignent. Ne s'agit-il pas d'un processus central dans l'écriture littéraire et dans le plaisir du texte ? Introduction à l'architexte(1979) montre que l'objet de la poétique n'est pas le texte mais l'architexte, c'est-à-dire l'ensemble des catégories générales ou transcendantes (types de discours, modes d'énonciation, genres littéraires) dont relève chaque texte singulier. Genette remet en cause la tradition générique occidentale et son système unifié qui depuis l'antiquité cherche à recouvrir l'ensemble du champ littéraire. Chemin faisant, Genette déconstruit la triade générique indûment attribuée à Aristote (lyrique, épique, dramatique) pour ouvrir la voie d'une éventuelle théorie générale des formes littéraires. Palimpsestes. La littérature au second degré (1982) cherche à fonder en théorie les différentes formes de la relation par laquelle l'œuvre littéraire peut se construire en se référant à d'autres œuvres, en les imitant comme dans le pastiche ou en les transformant comme dans la parodie. Ces deux formes, la parodie et le pastiche, n'étant que les manifestations les plus visibles et les plus mineures du phénomène d'hypertextualité : la littérature est toujours, au « second degré », la genèse d'un texte qui s'écrit en lisant d'autres textes. Comme dans le palimpseste, on peut y lire l'ancien sous le nouveau. Le texte se prête à une double lecture où se superpose au moins un hypertexte et un hypotexte. Parallèlement à ces travaux, un ouvrage de 1983, Nouveau Discours du récit propose une relecture du travail accompli depuis Figures en insistant sur la dimension créative de toute lecture. Avec Seuils (1987) Genette porte l'effort d'élucidation taxinomique sur cet espace textuel qui entoure le texte, et que la critique a le plus souvent tenu pour négligeable : présentation éditoriale, nom d'auteur, titres, dédicaces, épigraphes, préfaces, notes, interviews, entretiens, etc. De ce matériel textuel négligé, Genette propose une exploration systématique tout en fixant un vocabulaire taxinomique.
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Écrit par
- Pierre-Marc de BIASI : ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de l'Université, docteur en sémiologie, chargé de recherche au CNRS, directeur adjoint de l'Institut des textes et manuscrits modernes
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