SOUZAY GÉRARD (1918-2004)
On parlait souvent du baryton Gérard Souzay comme du « Fischer-Dieskau français », hommage qui lui avait été rendu en Allemagne, où son art du lied était apprécié au plus haut point. Mais il fut aussi et surtout l'un des plus illustres représentants d'une école française de chant qui s'est éteinte avec lui.
De son vrai nom Gérard Tisserand, il naît à Angers le 8 décembre 1918. Il fait ses études au Conservatoire de Paris avec la mezzo-soprano Claire Croiza et le baryton et basse Vanni-Marcoux avant de se perfectionner avec le baryton Pierre Bernac, le grand maître de la mélodie française, l'ami et le dédicataire des mélodies de Poulenc. Il s'initie à l'art du lied avec la sopranoLotte Lehmann. Gérard Souzay fait ses débuts en concert en 1945, à Londres, dans le Requiem de Fauré sous la direction de Charles Münch. Il aborde la scène lyrique en 1947, au festival d'Aix-en-Provence, dans Le Mariage secret de Cimarosa. Sa carrière se partagera entre ces deux activités, l'opéra restant néanmoins secondaire.
Il est vite reconnu comme un grand mélodiste et débute au festival de Salzbourg en 1959. Ses enregistrements de lieder de Schubert font le tour du monde et il grave en 1956 Les Amours du poète de Schumann, accompagné au piano par Alfred Cortot. Le 13 septembre 1956, à Saint-Marc de Venise, il crée le Canticum sacrum de Stravinski sous la direction du compositeur, au côté du ténor Richard Lewis. Il est aussi le Christ dans les Passions de Bach. Par la suite, son accompagnateur fidèle sera le pianiste Dalton Baldwin. À l'opéra, il incarne l'Orphée de Gluck et l'Orfeo de Monteverdi (New York, sous la direction de Leopold Stokowski, 1960), Énée dans Didon et Énée de Purcell (Aix-en-Provence, 1960), Golaud (il n'a jamais voulu chanter Pelléas !) dans Pelléas et Mélisande de Debussy (à l'Opéra-Comique à Paris, en 1960, et pour le centenaire de la naissance de Debussy en 1962, puis à l'Opéra de Rome en 1962 et au Mai musical florentin en 1966), le rôle-titre de Don Giovanni (Opéra de Paris, 1963-1966 ; Opéra de Munich, 1965). En 1964, il débute au Metropolitan Opera de New York, dans le Comte des Noces de Figaro, rôle qu'il reprend au festival de Glyndebourne un an plus tard. Il chante également Méphisto (La Damnation de Faust de Berlioz), Wolfram (Tannhäuser de Wagner), Pollux (Castor et Pollux de Rameau, enregistré sous la direction de Nikolaus Harnoncourt en 1972), Albert (Werther de Massenet), Lescaut et Des Grieux (Manon de Massenet). Très tôt, il s'intéresse à l'enseignement, qu'il dispense au Japon et aux États-Unis, notamment au Mannes College of Music de New York, à l'université de l'Indiana, où il professe jusqu'en 1985, puis à l'université du Texas à Austin. Comme son homologue allemand Dietrich Fischer-Dieskau, il pratique la peinture et expose ses toiles à Paris, New York, Tokyo... À la fin de sa vie, il se retire à Antibes, où il meurt le 17 août 2004.
La beauté de son timbre – de velours pour certains, de bronze pour d'autres – ne saurait être sous-estimée, mais l'art de Gérard Souzay reposait d'abord sur la justesse du mot mis en musique : sa parfaite diction était soulignée par une intelligence de la ligne mélodique sans jamais tomber dans l'excès. Chacune de ses interprétations était un chef-d'œuvre d'imagination et d'équilibre. Son art était peut-être trop intime pour s'épanouir à sa juste mesure à l'opéra, malgré la stature impressionnante de l'homme. La mélodie de salon est grâce à lui devenue un genre universel. Soucieux du détail, il faisait de chaque lied ou de chaque mélodie un petit opéra à lui seul, conception difficile à marier avec les impératifs de la scène lyrique. Cet art de la juste mesure bascula légèrement dans l'excès et la préciosité au cours de la dernière partie de sa carrière, lorsque la voix perdit[...]
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
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