RICHTER GERHARD (1932- )
Né en 1932 à Dresde, Gerhard Richter s'inscrit en 1951 à l'école supérieure des Beaux-Arts de sa ville natale où, inféodé au réalisme socialiste et tenu à l'écart des différentes avant-gardes occidentales, il se spécialise dans la peinture murale. Il obtient son diplôme à la suite d'une réalisation pour le musée de l'Hygiène allemand en 1956. Trois ans après, Richter entreprend un voyage à Cassel situé seulement à 15 kilomètres de la frontière est-allemande pour se rendre à la deuxième édition de la Documenta, manifestation phare perçue en R.D.A. comme un redoutable « instrument de propagande » de la création à l'ouest. Il y découvre les œuvres de Ernst Wilhelm Nay, Jackson Pollock, Jean Fautrier et Lucio Fontana dont les tableaux, l'artiste le reconnaîtra rétrospectivement, constituent une des raisons qui le poussent à quitter l'Allemagne de l'Est. Le passage en R.F.A. s'effectue en 1961, peu avant la construction du Mur de Berlin. Richter décide de reprendre ses études et s'inscrit à l'académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, où Joseph Beuys vient d'être nommé professeur. S'ensuit une période de travail boulimique, synonyme d'une pratique abstraite et informelle que l'artiste assimile à sa liberté retrouvée. Les tableaux réalisés au début de l'année 1962 – Cicatrice, Agression, Litanie, Blessure – témoignent à ce titre d'un caractère introspectif que son activité de peintre muraliste au service d'une idéologie aliénante avait refoulé. Le changement radical qui le fait passer d'une figuration appliquée, maniérée et « lisible » à une pratique gestuelle et matiériste ne traduit pas tant une rupture stylistique mûrement réfléchie qu'une volonté de repartir à zéro. Il n'en demeure pas moins que cette « parenthèse » de 1962 constitue la seule période où l'artiste ne s'est pas dissimulé derrière un discours qui lui permet, à l'image des peintures abstraites à venir, de maintenir une distance émotionnelle.
Le réalisme capitaliste
Indépendamment de ce premier virage stylistique, l'année 1962 coïncide dans la trajectoire de Richter avec la mise en place d'un collectif de circonstance réunissant les artistes Konrad Lueg, Manfred Kuttner et Sigmar Polke, également étudiants à la Kunstakademie de Düsseldorf. La rencontre avec Lueg (le futur galeriste Konrad Fischer) est la plus déterminante. C'est lui qui initie l'« inculte » Richter à l'art contemporain le plus pointu, tout en l'introduisant dans le milieu de l'art de Düsseldorf en pleine expansion. Les quatre artistes organisent en mai 1963 une manifestation collective qui préfigure une action entreprise en octobre de cette même année par Lueg et Richter sous l'appellation de « démonstration pour le réalisme capitaliste ». Ces deux expositions de mai et d'octobre traduisent les rapports conflictuels, faits d'attirance et de rejet, que ces étudiants entretiennent avec le pop art découvert par le biais de revues américaines. Constituant à leur yeux un moyen salvateur d'échapper à l'emprise de l'hégémonisme moderniste, le phénomène anglo-saxon donne par ailleurs aux jeunes artistes la possibilité de s'inspirer d'une société allemande transformée par le miracle économique de l'après-plan Marshall et auquel ils ne sauraient toutefois souscrire sans perplexité. D'où le concept d'un « réalisme capitaliste » qui renvoie aussi bien à leur passé communiste (Kuttner et Polke ont également vécu une partie de leur jeunesse en R.D.A.) qu'à l'« américanisation » d'une Allemagne renaissant de ses cendres.
La découverte du pop art a sur Richter des conséquences tout aussi radicales que son récent passage à l'Ouest. Deux œuvres[...]
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Écrit par
- Erik VERHAGEN : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Valenciennes, critique d'art, commissaire d'expositions
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