RICHTER GERHARD (1932- )
Le détour par le photographique
Le recours à des modèles photographiques de seconde main, systématisé à partir de 1962, libérerait l'artiste, aux dires d'une fameuse déclaration de 1972, d'« implications personnelles ». La photographie échapperait, selon lui et à tort, à des critères conventionnels et esthétiques et traduirait dès lors le fantasme d'une image « pure », vierge de toute connotation. Il va sans dire que ce postulat de base d'une image photographique « objective » ne résiste pas à un examen plus attentif de ses rouages sémantiques, sociologiques et esthétiques. Il n'empêche que cet axiome marquera à terme le succès de l'entreprise richtérienne et de sa fortune critique. Ce rapport entre photographie et peinture débouche en tous cas rapidement chez Richter sur une solution intermédiaire, visant non pas à rapprocher la photographie de la peinture, ainsi que l'entendaient les pictorialistes, mais au contraire à soumettre le pictural au photographique. Le noir et blanc et surtout le « flou » auxquels Richter a recours soulignent, dans cette perspective, des effets propres à la photographie. Effets réappropriés et renégociés par le biais d'une technique picturale « neutralisée » et conditionnée par le médium exogène qui lui sert d'inspiration. Richter ambitionne dès lors de rendre la peinture encore plus « photographique » que ne le sont les signes tombant sous cette appellation. Cette stratégie répond toutefois à l'« objectif » paradoxal d'exacerber une qualité picturale. Qualité dont l'artiste chercherait à dévoiler un « degré zéro » iconique similaire à celui, prévalant selon lui, dans la photographie.
Afin d'intensifier ce degré zéro, le répertoire iconographique de l'artiste, regroupé sous la forme d'un Atlas – il s'agit de l'impressionnante banque de données d'images accumulées par Richter –, va s'étoffer au fur et à mesure de sa trajectoire. De 1962 à 1965, le peintre va s'attaquer à un nombre incalculable de thèmes dont la diversité est censée accentuer le caractère insignifiant de son œuvre. Chaque motif subit le même traitement distancié, aboutit à une même composition floue, souvent en noir et blanc, qu'il s'agisse de Jackie Kennedy (Frau mit Schirm, 1964), d'un rouleau de papier toilette (Klorolle, 1965), de Brigitte Bardot (Mutter und Tochter, 1965, Ludwig Galerie, Schloss Oberhausen, Oberhausen), d'une chaise de cuisine (Küchenstuhl, 1965, Städtische Kunsthalle, Recklinghausen) ou d'une vache (Kuh, 1964, Kunstmuseum, Bonn). Cette conception « démocratique » qui tend à tout mettre sur un même plan, peut évidemment être rapprochée de l'esthétique minimaliste qui va gagner du terrain aux États-Unis et en Europe. Rapprochement d'autant plus judicieux que les minimalistes aussi bien que Richter cherchent à développer un langage froid, anonyme et mécanique circonscrivant les spécificités de leurs médiums respectifs. Certains tableaux réalisés à cette période, quoi qu'en dise l'artiste, viennent toutefois contrecarrer cette esthétique distanciée et « neutralisée ». Autour de 1964-1966, et comme il le fera par la suite, Richter puise en effet régulièrement dans son propre album de famille, exhume souvenirs et cicatrices, à l'instar des portraits de sa tante Marianne « euthanasiée » par les nazis (Tante Marianne, 1965), de son oncle Rudi enrôlé dans la Wehrmacht (Onkel Rudi, 1965, Musée tchèque des beaux-arts, Prague) et ne manque pas en 1966 de réaliser un tableau de sa femme enceinte (Ema, Museum Ludwig, Cologne) d'après une première photographie prise par lui-même, transgressant ainsi la règle selon laquelle les images doivent être extraites d'un répertoire de seconde main. Le tableau, l'un des plus emblématiques mais[...]
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Écrit par
- Erik VERHAGEN : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Valenciennes, critique d'art, commissaire d'expositions
Classification
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