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HAUPTMANN GERHART (1862-1946)

L'impossibilité d'agir

« Car l'homme n'est capable que de souffrance, il ne peut agir. » Cette phrase, extraite d'Indipohdi (1920), nous plonge d'emblée dans l'essence du pessimisme hauptmannien. « Au fond, je suis d'une nature gaie, mais cependant dès mon enfance, j'ai ressenti l'horreur de l'existence au sein de cet univers monstrueux », déclara un jour Hauptmann à Behl. Le terme même de « vie » est pour lui synonyme de souffrance, et dans Iphigénie à Delphes (Iphigenie in Delphi) il écrit : « Le monde porte la moindre part des maux, l'homme la plus grande. »

Le sentiment du tragique de la vie est identique chez les écrivains naturalistes et chez Hauptmann ; mais alors que pour les premiers ce tragique est fait avant tout d'une misère matérielle et sociale, Hauptmann le découvre dans la détresse morale et intellectuelle de l'individu, dans ses incapacités physique et psychique qui l'empêchent de se réaliser. Les personnages de Hauptmann ne font preuve d'aucun héroïsme qui les pousserait à entreprendre un combat contre leur destin : ils n'ont aucun idéal pour lequel ils pourraient mettre leur vie en jeu. Même la révolte des tisserands n'est qu'une Sehnsucht  ; le mot ne porte en lui aucune notion d'action : cette révolte n'est qu'une nostalgie de la vie libre. Lorsque, comme dans Les Tisserands, il se produit une tentative d'action, il n'y a jamais aboutissement : l'origine des personnages, leurs faiblesses et leurs aptitudes même constituent autant de barrières sur le chemin qui les mènerait à la réalisation de leurs aspirations. L'univers hauptmannien est celui de l'impuissance dans l'action, et ses héros sont des héros de la souffrance. S'ils sont parfois méchants, c'est uniquement parce qu'ils sont poussés par leur destin. « La question est la suivante : sommes-nous responsables de ce qui nous arrive ? Pouvons-nous en changer le cours ou non ? Non, car nous n'en sommes pas responsables. Au moins, cela nous enlève-t-il le sentiment d'être coupables », dit Hubert dans Dorothée Angermann (Dorothea Angermann, 1926).

C'est dans la souffrance que réside le besoin de rédemption de l'homme : cette nécessité est symbolisée par la recherche du monde du soleil dans Et Pippa danse ! (le surnom de Pippa signifie « la petite étincelle »), par la recherche de la pureté dans Pauvre Henri (Der arme Heinrich, 1902). Au fond de chaque homme repose le désir d'atteindre un certain degré de perfection qui permettrait une conciliation des formes extérieures et des données intérieures, mais cette aspiration demeure le plus souvent inassouvie ; il ne reste alors que l'extase ou encore la mort, seule véritable délivrance : « La mort est la plus douce forme de vie, la pièce maîtresse de l'amour éternel ; la plus difficile est de survivre », constate Michael Kramer au bord de la tombe de son fils.

Il serait vain de chercher chez Hauptmann une pensée originale, mais l'homme et l'œuvre sont attachants par la vérité profonde d'une contradiction apparente entre le pessimisme total qui fut aussi celui de la bourgeoisie de l'époque et l'inépuisable vitalité d'une œuvre multiple qui fait de Hauptmann une personnalité à la fois « primaire » et écrasante : souvent un artiste, jamais un penseur.

— Michel-François DEMET

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Gerhart Hauptmann - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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