GÉRICAULT, LA FOLIE D'UN MONDE (exposition)
Depuis la mémorable rétrospective de 1991 au Grand Palais, à Paris, due principalement à Régis Michel, conservateur au Louvre, il n'y avait pas eu en France de grande exposition consacrée à Géricault – hormis, en 1997, la présentation par l'École nationale supérieure des beaux-arts à Paris du très riche fonds de dessins et d'estampes appartenant à cette institution. Or la recherche, l'analyse, l'interprétation de l'œuvre, relancées il y a quinze ans après une longue stagnation, n'ont pas cessé depuis lors.
L'initiative prise par le musée des Beaux-Arts de Lyon d'organiser, du 20 avril au 31 juillet 2006, une manifestation autour du tableau qu'il avait audacieusement acquis en vente publique en 1908, la Monomane de l'envie, soit l'un des six portraits de fous peints vers 1819-1820, était donc particulièrement bienvenue. Menée conjointement par la directrice du musée, Sylvie Ramond, et par un historien de l'art indépendant spécialiste de l'artiste, Bruno Chenique, cette exposition s'affirmait comme proposition de lectures possibles de la vie et de l'œuvre de Géricault, la folie – entendue dans un large sens – leur servant en partie de fil conducteur. En témoignait, par exemple, l'absence d'un autre important Géricault du musée de Lyon, la copie de la Mise au tombeau de Raphaël, resté dans les collections permanentes au côté de celle de la Mise au tombeau de Titien par Delacroix.
L'exposition était majoritairement une présentation d'œuvres graphiques, où la peinture scandait un parcours fluide, sobre, réparti en quatorze sections ; sur de grands panneaux de tissu apparaissaient, en transparence, des détails des œuvres manquantes, comme Le Radeau de la Méduse. Il était certes impossible aux responsables d'obtenir le prêt des grands formats de Géricault, autour desquels il bâtit sa carrière publique – l'Officier de chasseurs à cheval de la garde impérial chargeant, le Cuirassier blessé quittant le feu et, bien sûr, Le Radeau –, tous présents par le biais de travaux préparatoires, d'esquisses peintes ou dessinées. Mais leur présence, ou celle d'autres grands tableaux, aurait aussi rompu l'unité formelle de l'exposition.
Clairement, c'est l'iconographie, les thèmes abordés par Géricault, et la signification qu'on peut aujourd'hui leur trouver qui avaient guidé les commissaires. Aussi le parcours hésitait-il entre une perspective chronologique et une autre, plus strictement thématique. La première était malgré tout conservée, puisque l'on commençait par les débuts de l'artiste au Salon, avec ses tableaux « napoléoniens », pour finir par les réalisations des années 1820, les portraits de fous, les lithographies de chevaux et de la Suite anglaise, ou les projets autour de La Traite des noirs et de La Libération des prisonniers de l'Inquisition. La carrière de Géricault fut très courte, de ses débuts, en 1810-1812, à sa mort prématurée, en 1824. Il peut être dommage que la chronologie de ses œuvres, parfois difficile à établir avec précision, n'ait pas été plus perceptible. Mais le propos principal en aurait aussi été affaibli.
Le choix était donc délibéré de mettre de côté une approche « classique » de l'histoire de l'art – le fait était sensible dans le catalogue, constitué presque entièrement d'essais, avec à la fin la liste des œuvres présentées, dont aucune n'était individuellement discutée alors que certaines, récemment retrouvées ou réattribuées, auraient mérité un commentaire propre. Cela avait l'avantage de mettre en avant l'interprétation, ou les suggestions d'interprétation qui, assez paradoxalement, s'appuient sur une problématique traditionnelle liant étroitement la vie et l'œuvre, et s'articulent d'abord sur une lecture politique.[...]
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Écrit par
- Barthélémy JOBERT : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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