SELIGMAN GERMAIN (1893-1978)
Né à Paris, élevé dans l'hôtel de Sagan, Germain Seligman passera plus de cinquante ans à New York, où il meurt citoyen américain. Si son père, ouvrant en 1914 une galerie à New York, trente-cinq ans après la fondation de la maison de Paris, montrait la voie de la double implantation en France et aux États-Unis, ce ne sont pas les meubles et les objets qui attirent son fils, mais les peintures et les dessins. Dans cette orientation nouvelle, qu'il donne après 1923 aux deux maisons, se confondent l'étude des œuvres anciennes et l'intérêt pour les artistes contemporains.
Germain Seligman a un goût éclectique, et, dès 1925-1930, il possède plusieurs centaines de Redon, de nombreux dessins de Seurat, une quarantaine de Bonnard, autant de dessins de Tiepolo, des Fragonard. Par une démarche relativement neuve, il associe commerce et histoire de l'art. De son père, il a hérité le goût de l'objet rare, le plaisir de l'acheter et de le vendre : If one sells, one must buy, écrira-t-il. Mais il ne s'agit pas tant de commerce que d'établir avec les clients une relation privilégiée et d'une certaine façon, d'influencer leur goût. Cela est particulièrement vrai aux États-Unis où Seligman organise des expositions de peinture française, qui regroupent aussi bien des manuscrits enluminés que des œuvres de Roger de La Fresnaye. Il consacre à cet artiste deux expositions puis un livre, publié à New York en 1945 : à un court texte analysant l'évolution et les caractéristiques de l'œuvre succédait un catalogue de 49 numéros. Ce travail, volontairement limité aux seules œuvres accessibles aux États-Unis, où se lisaient la sensibilité et l'admiration pour l'œuvre, constituait le premier jalon du grand catalogue La Fresnaye publié, en français cette fois, en 1969 : 634 numéros, classés chronologiquement, avec une étude stylistique et critique, les dessins étant mis en relation avec les peintures qu'ils préparent. Le texte qui le précède suit de près la vie du peintre et l'évolution de l'œuvre. Les nombreuses collections citées, publiques ou privées, font comprendre la chance que peut constituer pour un artiste, la triple conjonction chez son historien du goût personnel, du commerce bien compris et de l'écrit sur l'art. De même la publication à New York, en 1946, des Drawings of G. Seurat, première étude des dessins d'un artiste pourtant célèbre, a-t-elle entraîné l'organisation d'expositions et, sans doute, l'acquisition de dessins par des collectionneurs américains. Ce rôle du marchand, exemplaire en ce qui le concerne, sur la formation des collections, Germain Seligman l'analyse finement dans Oh ! Fickle Taste, or Objectivity in Art, Préface de René Huyghe (New York, 1952), essai sur les variations cycliques du goût et la vogue de certains artistes ou écoles, sur le rôle des historiens et des musées, sur la fonction irremplaçable de l'œil, etc. Il observe que, si le chef-d'œuvre n'a pas de prix, seule l'ignorance d'un public sans discernement explique la cote excessive d'œuvres médiocres. Cet éloge de la qualité et du jugement prend tout son poids sous la plume d'un marchand et d'un amateur comme Seligman, dont l'amour du métier éclate à chaque ligne de Merchants of Art : 1880-1960. 80 Years of Professional Collecting (New York, 1961), livre écrit à la gloire de son père, mais qui est aussi une histoire fascinante de la maison Seligman et du marché international de l'art. Y défilent aussi bien les plus grands amateurs (de Wallace ou Camondo à Buhrlé ou Wrightsman, en passant par David Weill, Pierpont Morgan, H. Strauss ou « les fabuleux barons de Rothschild ») que des œuvres aussi célèbres que Les Demoiselles d'Avignon de Picasso, Madame Moitessier d'Ingres,[...]
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Écrit par
- Marianne ROLAND MICHEL : docteure en histoire de l'art, directrice de la galerie Cailleux, Paris
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