DE COSTER GERMAINE (1895-1992)
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Grande figure de l'art du livre, Germaine De Coster laisse derrière elle l'œuvre impressionnant d'une artiste qui exerça ses talents à la fois dans les domaines de la gravure, de l'illustration de livres et de la décoration de reliures. Née le 1er septembre 1895, à Paris, dans une famille d'ingénieurs d'origine flamande, elle connaît une enfance sereine et équilibrée dans un milieu propice à l'épanouissement personnel. Elle est attirée très tôt par les arts, notamment la musique et le dessin, et recherche, auprès des bêtes et à travers les voyages, un contact étroit avec la nature. L'École nationale des arts décoratifs, de 1911 à 1914, et la préparation au professorat de dessin constituent les principales étapes de son apprentissage artistique. C'est auprès de Jules Chadel et de Yoshyiro Urushibara qu'elle s'initie à la gravure sur bois de fil selon les méthodes japonaises, c'est-à-dire l'utilisation du bois par grands aplats, tirés à l'encre de Chine et à l'eau, en vue d'obtenir par superposition des modelés subtils. Cette technique de gravure, réputée parmi les plus difficiles, en usage en Chine et au Japon, est peu pratiquée en Europe. Germaine De Coster sera l'une des rares à l'adopter en France, notamment pour l'illustration de livres. Dans ce domaine, c'est encore auprès de Jules Chadel qu'elle se perfectionne en le secondant durant plus de vingt-cinq ans pour la gravure des illustrations de grands livres édités par les prestigieuses sociétés de bibliophiles de l'époque, ainsi que pour de multiples travaux de décoration (reliures, bijoux, masques pour l'Opéra de Paris, etc.). Dans le même temps, elle s'intéresse aux décors de théâtre et apporte son concours à Jacques Copeau et à Louis Jouvet dans leur atelier de décors du théâtre du Vieux-Colombier. Nommée en 1921 professeur au collège technique des Arts appliqués de la rue Duperré, elle y enseigne la décoration, l'illustration et la gravure jusqu'en 1961, tout en poursuivant une œuvre personnelle de dessin, de gravure et de décoration de reliures. En 1924, sa visite au joaillier Henri Vever, chez lequel elle admire des collections remarquables d'estampes et de livres japonais, de miniatures persanes, de gravures, de reliures anciennes et contemporaines, la conforte dans son choix de carrière. Autre rencontre déterminante, celle d'Hélène Dumas (née en 1896), relieur d'art diplômée de l'Union centrale des arts décoratifs, à bord du paquebot qui les conduit en Grèce en 1931. S'amorce dès lors une collaboration continue de près de soixante années qui aboutira à la réalisation de quelque quatre cent cinquante reliures à décor, parmi les plus significatives de ce siècle. Outre la longueur exceptionnelle de cette collaboration entre un décorateur et un relieur, il convient de souligner la profonde complicité qui unissait les deux artistes et leur permit d'entreprendre d'audacieuses recherches, de réaliser de véritables performances tant techniques que décoratives. Concrétisée par la double signature « De Coster-Dumas », fait sans précédent dans la profession, cette association inédite et exemplaire du décorateur et de son relieur demeurera probablement unique dans l'histoire de la reliure. L'œuvre qui en résulte est largement marqué du sceau de cette connivence. On distingue, sur l'ensemble de leurs travaux, une évolution correspondant dans ses grandes lignes à celle de l'œuvre gravé de Germaine De Coster. Ainsi son passage du bois gravé au burin sur cuivre en 1950 aura-t-il des répercussions sur son œuvre de décorateur de reliures. D'un esprit proche de celui de l'impressionnisme, ses gravures sur bois témoignent en effet du « même désir de saisir la vie dans ses vibrations spontanées », comme l'observe Raymond Cogniat dans le portrait qu'il consacre à l'artiste en 1960. Tandis que ses cuivres, proches de l'élégante expression d'un Jacques Villon, dont elle apprécie tout particulièrement le travail, sont d'une rigueur toute cartésienne avec toutefois une place essentielle accordée aux effets de lumière. Aux traits souples et modulés de ses premiers décors de reliures succèdent ainsi, dans les années 1950, des traits purs qui accentuent les contrastes. Les reliures de cette seconde période font alterner filets d'or ou filets à froid, filets de palladium ou à l'œser, mosaïques multicolores de maroquin ou de veau, révélant une profonde compréhension du livre associée à une haute virtuosité. Au fil des années, Germaine De Coster renoncera à ces compositions savamment orchestrées avec un sens abouti de la géométrie (ses décors de reliure sur Cirque de Chagall et sur Corps mémorable de Paul Eluard en sont les deux plus brillants exemples) pour des créations beaucoup plus structurées, inspirées directement des éléments naturels qu'elle emploie pour la décoration de ses reliures : peaux traditionnelles telles que le veau, le box et le maroquin comme matériaux de couvrure, et pour les décors proprement dits des fragments de métal de toutes sortes (cuivre en fil ou en feuille, gravé, martelé, flammé, patiné, oxydé, etc.) intégrés parmi des peaux perforées ou estampées, d'origines diverses : autruche, carpe, requin, morse, éléphant, crocodile... À l'examen de l'ensemble de cet œuvre relié surgissent nettement les deux facettes principales de l'artiste, tantôt dominée par des exigences hautement intellectuelles, tantôt sensible aux moindres frémissements de la vie, chacune de ses réalisations portant l'empreinte d'un moment vécu intensément, amoureusement pourrait-on dire, avec le livre. Le secret de son œuvre relié et illustré réside justement dans cette symbiose parfaite, trop rare parmi les artistes du livre, pour ne pas être soulignée.
Au-delà de sa collaboration avec Jules Chadel, Germaine De Coster conçut et réalisa intégralement à elle seule — depuis le choix du texte, du papier et de la typographie jusqu'à l'impression des gravures — quelques-uns des plus beaux livres de son temps. Citons l'Histoire naturelle de Buffon, 27 Bêtes pas si bêtes de l'artiste elle-même et Vol de nuit de Saint-Exupéry. Les décors de reliures qu'elle composa sur certains exemplaires de ses propres livres manifestent, en même temps qu'une totale adéquation avec ces ouvrages, une maîtrise absolue de son art. Les différents prix qu'elle remporta avec Hélène Dumas au titre de leur œuvre relié, dont le grand prix de reliure d'art de la Ville de Paris, décerné quelques semaines seulement avant sa mort, couronnent un talent unanimement reconnu.
Bibliographie
R. Cogniat, Portrait de Germaine De Coster, illustré de 11 gravures originales de G. De Coster, Éd. Manuel Bruker, Paris, 1960.
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Écrit par
- Pascal FULACHER : journaliste, chargé de cours à l'École supérieure Estienne
Classification
Autres références
-
RELIURE
- Écrit par Pascal FULACHER et Jacques GUIGNARD
- 8 864 mots
Germaine De Coster (1895-1992) et Hélène Dumas (1896-1995) formèrent, pour leur part, un véritable tandem au cours des vingt-cinq années que dura leur collaboration. La première concevait le décor de la reliure, la seconde l'exécutait. Graveur de formation et de profession, Germaine De Coster abordait...
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