LUBIN GERMAINE (1890-1979)
Comme son père, Germaine Lubin aurait dû être médecin, mais la nature l'avait faite pour la musique, le chant et le théâtre. Ayant brillamment terminé ses études secondaires, elle entra à dix-huit ans au Conservatoire pour en sortir quatre ans plus tard avec trois premiers prix. Prudemment, pour ses débuts, au Fidelio que lui proposait l'Opéra elle préféra l'Antonia que lui offrait l'Opéra-Comique où elle resta trois ans et participa notamment à la création du Pays de Guy Ropartz. Elle devait y revenir pour y être la première Ariane de l'Ariane à Naxos, y reprendre la Pénélope de Fauré et y fêter, en Charlotte, le centenaire de la naissance de Massenet.
En 1915, Jacques Rouché la convainquit de le rejoindre au Palais-Garnier. Elle y fera, pendant près de trente ans la plus belle part de sa carrière, commençant par des rôles lyriques tels que Marguerite de Faust, Juliette ou Thaïs puis, progressivement, abordant des rôles plus lourds : Aïda, Marguerite de La Damnation de Faust, Salammbô, Marina et ses premiers Wagner (en français), Elsa, Elisabeth, Eva, Sieglinde. Elle devait y créer La Légende de saint Christophe de Vincent d'Indy, La Chartreuse de Parme d'Henry Sauguet et Maximilien de Darius Milhaud. Elle devait y être la première (et phénoménale) Elektra. Sa voix était devenue un fleuve immense et somptueux, aux grave et médium de velours et à l'aigu lumineux, lui donnant accès aux grands rôles dramatiques : Donna Anna, la Maréchale, Alceste, Iphigénie, Fidelio, Brünnhilde, Kundry et avant tout Isolde qu'elle chanta pour la première fois (en français) en 1930, et dont elle assura une triomphale centième au Palais-Garnier (en allemand) en 1938 sous la direction de Furtwängler (« La plus grande Isolde que j'ai jamais entendue ») et qu'elle y reprit en 1941 avec la troupe de l'Opéra de Berlin sous la direction d'Herbert von Karajan.
Vedette internationale, elle fut ovationnée sur toutes les grandes scènes européennes. Pour son malheur, ce fut l'Allemagne nazie qui lui réserva l'accueil le plus chaleureux et lui donna ses meilleurs amis. En 1939 à Bayreuth, son Isolde, dirigée par Victor de Sabata, fit d'elle une véritable idole. Ces triomphes allemands d'avant la guerre ajoutés au fait d'avoir chanté sous l'Occupation et peut-être aussi à une certaine inconscience de sa part dans ses déclarations — sans parler de la haine et de la jalousie de ceux qu'elle écrasait de son talent — lui valurent d'être privée de ses droits civiques et de ses biens à la Libération. Lutteuse, elle fit face, mais sa carrière était brisée.
Quand on sait ce que furent ensuite les carrières de tant d'artistes d'outre-Rhin, qui servirent durant la guerre la cause du nazisme, on ne peut que trouver injuste et stupide le sort réservé à l'une des plus grandes cantatrices françaises de tous les temps.
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Écrit par
- Jean ZIEGLER : critique musical
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