RICHIER GERMAINE (1902-1959)
À propos de l'œuvre de Germaine Richier, André Pieyre de Mandiargues écrit : « Elle fait crier ce qui est passé entre ses mains. » Il ajoute : « Elle nous induit à d'étranges mouvements de l'âme, elle nous fait apercevoir des fièvres et des peurs qui sont primordiales. » Art du déchirement et de la fureur, la sculpture de Germaine Richier fait d'elle l'une des grandes figures solitaires de l'après-guerre.
Les figures animalières
Née à Grans, près d'Arles, Germaine Richier entre à dix-huit ans à l'École des beaux-arts de Montpellier dans l'atelier de Louis-Jacques Guignes, un ancien assistant de Rodin. Elle y reçoit un enseignement traditionnel qu'elle complète quelques années plus tard, lorsqu'elle arrive à Paris pour suivre les cours d'Antoine Bourdelle. La jeune artiste expérimente la technique du modelage comme celle de la taille directe et ne néglige ni le compas, ni le fil à plomb. Elle affirme également un besoin incessant de la présence d'un modèle vivant, quitte ensuite à laisser fonctionner l'imaginaire et à prendre toute liberté avec la réalité. Germaine Richier réalise alors une série de bustes qu'elle présente à la galerie Max Kaganovitch, à Paris en l934, et qui se font déjà remarquer par la puissance et l'originalité de leur facture. Si les bustes et les figures sont les premières œuvres que l'artiste expose, elle revient souvent à ce type de sujet (Têtes de Marguerite Lamy, l955-1957, musée Fabre, Montpellier). Il s'agit pour elle de continuer à « faire des gammes » et d'échapper pour un temps, selon Valérie Da Costa, « à ses figures de la métamorphose, de retourner au monde réel, comme une respiration nécessaire ».
En l939, Germaine Richier quitte Paris pour Zurich où elle reste jusqu'à la fin de la guerre. Si elle réalise alors la figure silencieuse et douloureuse d'un frêle jeune homme, intitulée Juin 40, l'artiste délaisse pour un temps la figure humaine, et choisit ses thèmes dans le monde des bêtes nocturnes et des insectes. Ainsi, une fourmi, une araignée et une sauterelle deviennent des sortes de femelles menaçantes qui n'en finissent pas de tisser de longs fils tendus, dont le lacis polygonal anime et prolonge l'alentour. Reliant les points cardinaux du sujet, ils semblent n'être là que pour prendre la mesure de l'espace, et préfigurent l'utilisation de plus en plus fréquente que fera l'artiste des vides et de leur organisation. « Toutes mes sculptures, affirme Germaine Richier, même les plus imaginées, partent toujours de quelque chose de vrai, d'une vérité organique... On peut ainsi déboucher de plain-pied dans la poésie... » Une réalité que l'artiste distance et décale, créant ainsi un ensemble de figures uniques où l'animal, le végétal et l'humain se mêlent et se croisent, s'affrontent et se confondent pour se défier et se mettre à mal. Avec La Forêt (1946, musée d'Art moderne de Sao Paulo), le sculpteur réinterprète le mythe de Daphné transformée en arbre. Quant au Griffu, dont elle réalise plusieurs versions (1952, Museum of Modern Art de New York, et musée Réattu en Arles), il tient à la fois de l'homme et de l'animal : ses pieds sont fourchus et ses mains terminées par des griffes, sa figure est défoncée, toutes difformités accentuées encore par le traitement du bronze que l'artiste triture et déchiquette à outrance. Quant au Berger des Landes (1952, Louisiana Museum of Modern Art, Humlebaek), il possède une échasse de trop, ce qui lui interdit à tout jamais de se mouvoir. Son ventre a perdu ses viscères et sa figure n'est plus que béance. « Quand je trouve une forme, je la détruis », déclare volontiers Germaine Richier.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Maïten BOUISSET : critique d'art
Classification
Autres références
-
GERMAINE RICHIER (exposition)
- Écrit par Claire MAINGON
- 1 007 mots
Riche et sobre, cette rétrospective réunit, du 1er mars au 12 juin 2023, toutes les œuvres emblématiques de Germaine Richier, figure majeure de la sculpture moderne des années 1950. Le Musée national d’art moderne (Centre Georges-Pompidou) n’avait pas consacré d’exposition à cette sculptrice...
-
ART SACRÉ
- Écrit par Françoise PERROT
- 5 359 mots
...jointes les œuvres de peintres-verriers (M. Huré, également interprète de J. Bazaine, P. Bony et A. Hébert-Stevens). L'ensemble ne passa pas inaperçu et l'affaire du Christ sculpté pour le maître-autel par Germaine Richier résume à elle seule l'étendue du scandale : déposé en 1950 à la demande de... -
ART SACRÉ L', revue
- Écrit par Françoise CAUSSÉ
- 2 012 mots
...Bréseux avec Manessier, et de Ronchamp avec Le Corbusier. Ces responsables étaient tous en relations – plus ou moins directes – avec L'Art sacré. La « querelle » débuta par le scandale déclenché à Angers à propos du crucifix d'Assy (œuvre de Germaine Richier) par des intégristes influents auprès... -
RÉGAMEY RAYMOND (1900-1996)
- Écrit par Françoise CAUSSÉ
- 933 mots
Dominicain, historien de l'art, le père Régamey marqua la réflexion sur l'art religieux au xxe siècle en France.
Fils de Jeanne Heilman et de Frédéric Régamey (1849-1925) Raymond Régamey est né le 10 janvier 1900 à Beblenheim dans une famille protestante d'écrivains et d'artistes. Sa mère,...